L’assurance vie, le placement financier préféré des Français, souffre d’une communication partielle et biaisée sur les rendements de ses fonds en euros. A quand l’intervention du législateur ?
"Les annonces de rendement [des contrats d'assurance vie] par les assureurs ne constituent absolument pas un panorama complet et réel du marché, estime Gilles Dupin, président-directeur général de la mutuelle Monceau Assurances.
Getty Images
Chaque année, de janvier à mars, les assureurs communiquent au public les taux des fonds en euros de leurs contrats. Des données souvent relayées sans recul par les médias. Pourtant, parmi les professionnels, chacun sait que ce tableau est un remarquable trompe-l’oeil. “Les annonces de rendement par les assureurs ne constituent absolument pas un panorama complet et réel du marché, estime Gilles Dupin, président-directeur général de la mutuelle Monceau Assurances. C’est de la communication marketing, il faut le dire haut et fort ! Le but des compagnies n’est pas d’informer les épargnants mais de valoriser les contrats commercialisés.”
A Mieux Vivre Votre Argent (Version papier de L’Express-VotreArgent, ndlr), notre suivi historique du marché confirme ce constat. Modifions alors notre énoncé : chaque début d’année, les compagnies communiquent les taux de “certains” contrats. Pour l’exhaustivité, vous repasserez !
Généralement, les assureurs sont peu loquaces sur les performances de leurs contrats fermés à la souscription, pourtant nombreux. Nos demandes appuyées auprès des compagnies sur les rendements des vieux produits reçoivent souvent des fins de non-recevoir.
Vous insistez ? On vous réplique que “ce contrat est très ancien et pèse peu dans les encours”, qu’il “n’est plus commercialisé et donc pas représentatif de notre offre”, que “chaque souscripteur d’un contrat est informé par son relevé annuel”, etc.
Des réponses bien huilées, mais souvent inexactes. Car les anciennes enveloppes pèsent lourd dans les actifs des compagnies. Exemple : chez CNP Assurances, premier assureur vie du marché, Initiatives Transmission, produit fermé depuis le début des années 2000, vaut encore 24 milliards d’euros.
Reste l’argument choc asséné par un de nos interlocuteurs : “Quand vous comparez des produits informatiques, vous vous intéressez aux derniers modèles proposés à la vente, pas aux produits commercialisés quinze ans plus tôt. Faites de même avec l’assurance vie !”
Problème, l’épargne n’est pas un produit de consommation. Elle appartient aux assurés, qui ont le droit de savoir comment la compagnie en répartit les fruits.
Portons le fer dans la plaie : l’omerta sur les vieux contrats est liée au fait qu’ils sont beaucoup moins rémunérateurs que les produits récents, sans que cela se justifie sur le plan contractuel.
Des taux moyens qui ne disent rien de précis sur votre contrat. Mais les assureurs savent aussi biaiser l’information sur les rendements des contrats en cours de commercialisation.
Ainsi en va-t-il des taux moyens annoncés par certains établissements, tels BNP Paribas ou la Société Générale. Ce sont souvent ces chiffres que vous retrouverez dans la presse ou sur les sites Internet des sociétés, alors qu’un taux moyen ne vous dira rien sur les minima et maxima attribués aux assurés, ni sur les critères utilisés pour octroyer ces différents niveaux de rémunération.
Il faut aussi compter sur la propension des compagnies à mélanger les choux et les carottes dans la présentation des performances. Exemple en vogue : dans les contrats proposant plusieurs fonds en euros, l’un des supports se révèle souvent plus rentable et donc plus… attractif.
C’est bien sûr celui-ci qui sera mis en avant. Sauf que l’on omet de vous préciser que son accès est conditionné à une prise de risque significative en parallèle (sur 20 à 50 % de son capital !). De quoi leurrer un public peu connaisseur.
La liste est longue de ces pratiques peu consuméristes : rendements bonifiés qui rendent peu lisible le vrai rapport du contrat, oubli de signaler que le taux affiché est brut de prélèvements sociaux, etc. Le marché aurait donc besoin de discipline.
Pourtant, depuis 1998, la Fédération française de l’assurance (FFA) a adopté des normes de communication sur les rendements des fonds en euros, censées s’imposer à tous ses membres, c’est-à-dire à la quasi-totalité des assureurs (un recueil de ces engagements, mis à jour en juillet 2016, est consultable sur Ffa-assurance.fr).
But de l’opération : “Améliorer la clarté et la transparence des informations que notre profession diffuse sur l’évolution du rendement des contrats.” Avec une règle d’or : “Les assureurs s’engagent à ce que l’information d’un contrat donné ne puisse laisser faussement croire, implicitement ou explicitement, qu’elle concerne d’autres contrats ou la totalité des contrats proposés par l’entreprise.” On en est assez loin.
En outre, en cas de requête des journalistes, la fédération demande aux établissements de publier, face aux rendements servis, les encours des contrats concernés.
Certains le font spontanément, comme l’Afer ou la Macif. Mais la plupart ne délivrent pas cet élément capital.
Pour mettre à l’épreuve les assureurs, nous avons sondé une vingtaine d’entre eux. Même s’il faut noter des efforts de transparence chez certains de nos interlocuteurs, le constat laissera l’épargnant dubitatif : une majorité d’assureurs ne respectent même pas les engagements de communication pris par leur profession (voir tableau ci-dessous ou cliquez ici pour le consulter en plein écran).
Cette opacité nourrit une pratique méconnue du grand public, l’inégalité de traitement des assurés. Le plus souvent, les taux servis sur les fonds en euros échappent à toute logique.
Un exemple parmi d’autres : comment expliquer que le contrat Cachemire 2 de La Banque Postale voit son fonds en euros crédité de 1,85 à 2,01 % en 2016 quand le contrat Vivaccio affiche seulement 1,15 %, alors qu’ils sont pilotés par le même assureur (CNP Assurances) et que leurs frais de gestion sont identiques contractuellement (0,85 %) ? Injuste mais légal, le Code des assurances laissant toute liberté aux établissements pour distribuer les bénéfices financiers réalisés avec l’épargne de leurs clients.
Ces pratiques suscitent le courroux de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (Faider). “Nous nous élevons contre le manque de transparence du marché de l’assurance vie et la manipulation des taux servis en fonction des contrats, dénonce Jean Berthon, son président. Notre fédération milite pour une modification des règles de calcul de la participation aux bénéfices pour qu’il n’y ait plus d’inégalités entre les taux servis.”
Pour l’heure, c’est peine perdue. L’attribution des rendements sur les fonds en euros est avant tout une décision commerciale prise entre l’assureur et son distributeur.
Dit autrement, les taux de l’assurance vie ne se constatent pas, ils se décrètent ! D’où le pillage des vieux contrats, dépouillés au profit des produits plus récents.
Même si certains acteurs – quelques associations d’épargnants et mutuelles – ne participent pas à ce grand bidouillage, le mal est profond.
Question ultime : qui va mener l’opération de transparence dont a tant besoin le placement préféré des Français ? On peine à croire que la réponse vienne de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le régulateur du secteur financier, plus soucieux de la santé du système que de la défense des épargnants.
Même si l’ACPR s’élève régulièrement contre “des mauvaises pratiques pouvant nuire à la compréhension des offres et des produits d’assurance vie proposés”, elle ne va pas jusqu’à tancer les compagnies fautives. Faut-il lui rappeler ce qui était écrit voici dix ans dans son rapport annuel : il est difficile aux épargnants “d’exercer un quelconque contrôle des montants que leur annoncent leurs assureurs”.
Le salut serait donc plutôt du côté du législateur. Sur le terrain miné de la déshérence (ces contrats dormants chez les assureurs faute d’avoir été versés aux bénéficiaires), que beaucoup croyaient irréformable, la situation s’est considérablement améliorée grâce à son intervention.
Qui osera maintenant s’attaquer à la transparence sur les rendements des fonds en euros ? Deux pistes sont possibles. La première, assez technique, consisterait à imposer aux professionnels le cantonnement des contrats, leur isolement dans les comptes des compagnies.
Ce qui permettrait de “tracer” les rendements attribués, à l’instar de la traçabilité dans le secteur alimentaire. Ce cantonnement des fonds en euros, adopté par de rares établissements (dont l’Afer, Asac-Fapès, Gaipare, Monceau Assurances), est un gage d’équité. Mais la profession fait front contre cette évolution.
A défaut, il existe une seconde solution, plus simple : porter obligation légale aux assureurs de publier sur leur site l’intégralité des taux servis sur l’ensemble de leurs contrats avec leurs encours. Aux épargnants, ensuite, d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Il est peut-être temps que les assureurs rendent des comptes.
À découvrir
Services partenaires
© L'Express