Pris en étau entre une sécurité devenue fort coûteuse en termes de rendement et une dynamique boursière hautement volatile, les épargnants doivent plus que jamais s'arrimer à la force patrimoniale d'une diversification au long cours soigneusement dosée sur le plan financier et bien équilibrée dans sa dimension juridico-fiscale. Quelques outils aussi traditionnels qu'efficaces permettent sa mise en oeuvre.
Par Laurence Delain
Les Français, on le sait, ne sont pas à une contradiction près. Selon l'édition 2021 de l'enquête « Les Français, l'épargne, la retraite et la dépendance » que vient de publier le Cercle de l'Epargne, « 33 % d'entre eux estiment qu'aucun placement ne permet de se protéger de la baisse des taux ». Mais interrogés sur la trésorerie « Covid » cumulée depuis le printemps 2020, seuls « 12 % d'entre eux » s'affirment disposés à réallouer ces liquidités vers des produits « de long terme comme l'assurance-vie, les actions, les plans d'épargne retraite, etc. ».
Pourtant, comme le rappelle Thibaut Cossenet, directeur de l'offre financière du groupe Le Conservateur, « les 0,5 % servis par le Livret A correspondent, si l'on tient compte d'une inflation de l'ordre de 2 %, à un rendement négatif de -1,5 %. Et le raisonnement vaut pour les fonds en euros des contrats d'assurance-vie dont la rentabilité moyenne en valeur nette de prélèvements sociaux et de frais sur versements enfonce le seuil des 1 % ».
Alors, que faire pour rompre la quadrature du cercle d'une sécurité qui devient synonyme de perte en capital ? « Ne jamais oublier que le temps 'écrase' le risque et reste le meilleur des alliés pour consolider un patrimoine financier », répond Corinne Caraux, directrice de l'ingénierie patrimoniale du Conservateur. Trois instruments classiques de placement permettent de jouer cette partition de bon sens.
« Je reste un farouche défenseur du contrat multisupport, susceptible d'offrir, dans un cadre fiscal et successoral inégalé, une garantie en capital à tout moment pour sa partie sécurisée, tout en étant ouvert sur un large choix d'unités de compte (UC) investies en actifs mobiliers et immobiliers, dont certains, comme le private equity, sont décorrélés des variations boursières », résume Yves Mazin, vice-président de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP). Fonte des taux oblige, il devient toutefois indispensable de bien moduler la poche euros de son contrat à la baisse selon son horizon de placement.
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« La quote-part d'UC peut, sur le long terme et selon le profil de l'épargnant, grimper à 80 % pour un quadragénaire et rester majoritaire pour un quinquagénaire », estime Thibaut Cossenet, partisan dans la conjoncture actuelle « de supports structurés non directionnels, susceptibles – sur des échéances prédéfinies – de générer de la performance tout en protégeant le capital » ou encore « de gestions actives flexibles ou thématiques, axées notamment sur la transition énergétique, les nouvelles technologies et les enjeux démographiques ».
Tant qu'elles sont capitalisées au sein du contrat, les plus-values des UC échappent à l'impôt et aux prélèvements sociaux. Et en cas de retrait, seule la quote-part d'épargne correspondant aux intérêts générés est taxée sur la base d'un prélèvement forfaitaire dont le taux varie selon les dates d'ouverture du contrat, celle de l'enregistrement des versements et le montant du contrat. Il est aussi possible d'opter pour l'imposition classique.
Passé huit ans, les revenus profitent d'un abattement annuel de 4.600 € (9.200 € pour un couple) qui, bien ajusté, permet de profiter d'un complément de revenus défiscalisés.
Enfin, en cas de décès, le contrat sort de l'actif successoral et peut être transmis au bénéficiaire de son choix (parent ou pas) en franchise de droit jusqu'à 152.500 € (au-delà, taxe de 20 % jusqu'à 700.000 €, puis de 31,25 %). Pour l'épargne issue de primes versées à partir de 70 ans, le barème successoral classique s'applique après abattement de 30.500 € mais les gains du contrat demeurent exonérés.
Faux frère de l'assurance-vie, ce titre de créance ne bénéficie pas, faute d'aléa, des mêmes avantages successoraux mais ménage d'autres possibilités : susceptible de faire l'objet d'un démembrement, le contrat de capitalisation ne se dénoue pas systématiquement au décès du souscripteur, ce qui permet à ses bénéficiaires de profiter de son antériorité fiscale.
Autre atout, il peut être souscrit par une personne morale (SARL, SA et SAS notamment) afin de gérer sa trésorerie. « Attention, indique Corinne Caraux, cette possibilité est réservée aux seules sociétés qui n'ont pas d'activité opérationnelle, c'est-à-dire aux holdings de groupe, aux sociétés civiles et patrimoniales »
Retouché par la loi Pacte, qui a notamment plafonné ses frais et assoupli son fonctionnement, le plan d'épargne en actions permet, dans la limite de 225.000 € (donc 450.000 € pour un couple), de se constituer en franchise fiscale, un portefeuille d'actions européennes souscrites sous forme de titres vifs ou de fonds communs de placement (contenant 75 % d'actions minimum).
Bien qu'élargie au private equity dans des proportions désormais laissées à la main du souscripteur, la palette financière du PEA est plus restreinte que celle de l'assurance-vie. « Ce plan boursier vaut, en complément d'un multisupport, en priorité pour des investisseurs avertis capables de supporter une prise de risque et sensibles au soutien de l'économie réelle », observe Yves Mazin.
Sous réserve de n'effectuer aucun retrait avant cinq ans, les plus-values réalisées sont exonérées d'impôt (les prélèvements sociaux restent dus). Dans le cas inverse, le PEA est clôturé et ses gains taxés au PFU de 30 %. La loi Pacte admet toutefois de nouveaux cas de déblocages anticipés sans pénalités fiscales : invalidité, licenciement, retraite anticipée.
Et si un retrait intervient entre cinq et huit ans de détention, le plan ne sera plus clôturé comme ce fut longtemps le cas. Autre avantage, le PEA peut déboucher sur le versement de rentes viagères exonérées d'impôts, une option toutefois rarement levée, les Français restant allergiques à l'aliénation de leur capital.
Véritable produit de niche distribué de façon quasi exclusive par le groupe Le Conservateur, la tontine est une forme atypique d'« association collective d'épargne viagère ». Conçue il y a plus de 365 ans par le banquier Lorenzo Tonti, cette cousine très éloignée de l'assurance-vie dont elle partage le régime fiscal a pour principe immuable de réunir des adhérents.
Moyennant des frais statutaires uniques de 18,5 % (ponction significative mais moins pénalisante que des frais de gestion pris chaque année sur encours), ils investissent des fonds en commun sur un horizon déterminé (a minima 10 ans ou 15 ans en cas de versements périodiques et aucun cas de sortie dérogatoire).
A échéance, l'association (d'une durée initiale de 25 ans) est dissoute et son actif, majoré des primes des adhérents éventuellement décédés, intégralement réparti entre ses souscripteurs. Ces derniers sont rarement déçus (plus de 3 % de gain annuel moyen net d'inflation en 2021 pour un investissement effectué il y a quinze ans par un adhérent alors âgé de 45 ans).
Libérés de toute contrainte de liquidités, les gestionnaires de la tontine ont en effet une belle latitude pour puiser de la performance sur différents segments de marché (notamment ceux centrés sur les énergies renouvelables et l'innovation technologique) avant de sécuriser leur portefeuille au fur et à mesure que la date de liquidation approche. La part d'exposition en actions, private equity, et immobilier, peut ainsi dépasser 50 % les premières années, avant de tendre vers 0 % au bout de 25 ans. « C'est un exemple parfait de gestion à horizon », remarque Thibaut Cossenet.
A noter : contrairement à l'assurance-vie, la tontine n'entre pas dans le champ d'application de la loi Sapin 2 qui en cas de risque systémique autorise un blocage temporaire des sommes capitalisées sur les contrats.
A terme, les revenus générés par la tontine sont soumis, après abattement de 4.600 € (ou 9.200 € pour un couple), à un prélèvement forfaitaire de 12,8 % ou de 7,5 % sous réserve que les primes versées n'excèdent pas 150.000€ (montant qui englobe l'ensemble des contrats d'assurance-vie et capitalisation détenus par le souscripteur).
Pour Thibaut Cossenet, même assoupli et dénouable sous forme de capital, le plan d'épargne retraite doit intervenir « en complément d'une assurance-vie e/ou d'une tontine et l'épargnant doit garder en tête que l'avantage fiscal dont il profite à l'entrée est compensé par l'imposition de la rente ou du capital à la sortie. Pour que l'effet de levier joue pleinement, le TMI doit baisser de deux tranches au moment de la retraite ».
Laurence Delain
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