Challenges High-Tech
Par Marion Perroud le 03.04.2016 à 10h04, mis à jour le 03.04.2016 à 10h04 Lecture 6 min.
Pont en acier, bague en or, chaise, lunettes, enceintes… Quel est le point commun entre ces objets exposés au Lieu du design à Paris, jusqu’au au 9 juillet ? Ils ont tous été fabriqués avec une imprimante 3D, par superposition de couches de matières. Prototypage rapide, conception de petites séries, personnalisation d’un objet, reproduction de pièces complexes à moindre coût… Cette technologie, adoptée par de plus en plus d’industriels, d’artistes, de designers et de bricoleurs du dimanche, bouscule radicalement les modèles de production et de création traditionnels. Si son usage se démocratise depuis quelques années seulement, des scientifiques voient plus loin en posant dès aujourd’hui les premiers jalons de l’ère de l’impression 4D. L’objectif de leurs recherches n’est pas réellement de créer une quatrième dimension, mais de produire, avec des imprimantes 3D, des objets capables de se transformer au fil du temps sous l’impulsion de stimuli extérieurs. Comment? Grâce à l’utilisation de matériaux programmés pour onduler, se déplacer, s’auto-assembler, grandir ou encore changer de couleur dès lors qu’ils sont soumis à des stimulations électriques, des variations de températures, de luminosité ou encore d’humidité.
Demain, les meubles pourraient ainsi s’assembler par eux-mêmes. La couleur des uniformes des militaires s’adapterait à celle de leur environnement. Les murs seraient capables de se rétrécir ou de s’agrandir au gré de la météo. Les vélos accidentés s’auto-répareraient… Bref, le champ des possibles semble infini, avec, à la clé, des opportunités business dans nombre de secteurs de l’automobile à la robotique, en passant par l’aéronautique, le bâtiment, l’énergie ou encore le médical… "A l’heure actuelle, nous en sommes à un stade technologique encore purement expérimental, nuance Pierre Renaud, professeur à l’INSA de Strasbourg et chercheur au Laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie (ICube). Nous disposons certes de plusieurs preuves de concept, qui valident la faisabilité du projet. Mais elles portent sur des systèmes de très petites tailles dans des environnements encore très contrôlés."

Pionnier du genre, Skylar Tibbits, chercheur américain au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), planche depuis maintenant sept ans sur le couplage de l’impression 3D et des nanotechnologies. Lors de la présentation d’un de ses premiers prototypes, en février 2013, il résume sa démarche : "J’aimerais proposer […] qu’on combine le monde des matériaux adaptatifs programmables à l’échelle nanotechnologique et l’environnement de la construction. Je ne parle pas simplement d’automates, de machines intelligentes qui remplacent les humains. Je parle de matériaux programmables qui se construisent eux-mêmes." Le chercheur dévoile alors les fruits de ses premières trouvailles: une paille qui se rétracte en forme de cube dès qu’elle est immergée dans l’eau (voir photo ci-dessus). Depuis, le Self-Assembly Lab qu’il pilote, a mené diverses expérimentations au niveau de l’impression de fibres carbone ou de granulés bois.
Le MIT est loin d’être le seul à s’intéresser aux opportunités de l’impression 4D. Fin janvier, l’Université d’Harvard et l’Institut Wyss ont ainsi imprimé une sorte de fleur, en utilisant de l’hydrogel élaboré à base de cellulose. Une fois plongée dans l’eau, cette "orchidée 4D" ne se contente pas de changer de forme. Les chercheurs sont parvenus à prédire de manière mathématique différents mouvements et réactions possibles des pétales, en modifiant leur trajectoire d’impression (visionnez la vidéo).

On peut encore citer les recherches des universités du Colorado et de Singapour avec leur cube qui s’auto-assemble sur commande, celles de l’université australienne de Wollongong et sa valve qui se referme au contact de l’eau chaude, ou même celles du centre laser d’Hanovre développant des implants cochléaires adaptables à la forme de l’oreille interne… Les initiatives se multiplient, sous l’œil attentif des industriels. Le fabricant israélien d’imprimante 3D Stratasys et l’éditeur de logiciels 3D Autodesk participent ainsi activement aux travaux du MIT. "Hewlett Packard, qui commence à commercialiser des imprimantes 3D, souhaiterait également investiguer sur le terrain de la 4D, à terme", pointe Pierre Renaud de l’INSA de Strasbourg. Dans un tout autre secteur, la marque BMW a présenté début mars à l’occasion de son centenaire, ce qui fera la voiture du futur, selon elle. Parmi les pistes envisagées de manière très sérieuse, l’impression d’une carrosserie dotée de matériaux qui, au contact de l’air et sous l’effet de la vitesse, s’adaptent pour gagner en aérodynamisme. L’armée américaine s’intéresse aussi de près aux applications potentielles de cette technologie, telles que le camouflage de textile évolutif ou l’auto-assemblage d’armes. En 2013, elle a ainsi investi l’équivalent de 675.000 euros dans les recherches des universités de Harvard, de Pittsburg et de l’Illinois.
Outre la programmation des matériaux, l’impression 4D pourrait potentiellement maximiser les atouts déjà avérés de l’imprimante 3D dans le processus de production industrielle (ex : optimisation des stocks, disparition des coûts de montage, réduction des coûts de matières premières, etc.). "Etant donné que les matériaux seraient programmés pour évoluer après leur fabrication, on pourrait par exemple supprimer les phases de personnalisation située en amont, comme le scan d’une partie du corps et sa modélisation 3D. Les objets seraient ainsi imprimés sur la base d’un design générique moins coûteux", imagine Alexandre Martel, cofondateur du site d’information et de conseil 3Dnatives.com.
Avant qu’elle investisse les usines, l’impression 4D devra d’abord lever plusieurs obstacles. Selon Pierre Renaud, la difficulté essentielle se situe à l’échelle de la modélisation sur la durée, du comportement des matériaux exploités, qu’il s’agisse de leur robustesse ou encore de leur potentielle dégradation. Outre ces limites physiques, la 4D risque également de poser un certain nombre de problématiques juridiques et éthiques. "A qui reviendront les droits de propriété intellectuelle de ces objets évolutifs ? Qui sera responsable en cas de bug ou d’accident post-production ?", interroge Alexandre Martel. D’autant plus que le champ de la 4D n'est pas le seul étudié. Le développement de l'impression 3D hybride (qui consiste à rendre la machine multitâche) ou électronique (permettant de fabriquer en un bloc un produit et son système électronique), présentent elles aussi des perspectives alléchantes plus accessibles. Ajouté à cela que les industriels du secteur se focalisent pour l'heure en priorité sur la conquête de ce marché mondial en plein boom. Ce dernier devrait en effet passer, selon Xerfi, de 2,8 milliards d’euros en 2014 à 8,5 milliards en 2020, sur un trend de croissance annuelle de plus 20%. Avec à la clé, des opportunités business beaucoup plus palpables que celles de la quatrième dimension.
 
Harvard
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