Challenges Entreprise
Par Thuy-Diep Nguyen le 01.03.2015 à 11h59, mis à jour le 01.03.2015 à 11h59 Lecture 10 min.
A première vue, la vie d’Henri Seydoux ressemble à une photo de soirée au Palace. Ce haut lieu des noctambules underground, où il traînait ses guêtres et sa bouille de Tintin à la fin des années 1980. Là où il a rencontré Christian Louboutin, futur chausseur aux fameuses semelles rouges, l’ami de toujours. Là, aussi, où il a croisé sa seconde épouse, la magnétique Farida Khelfa, pas encore mannequin-vedette. En 2012, le couple a choisi ce temple du disco, aujourd’hui un théâtre privé, pour fêter son mariage après vingt ans de vie commune et deux garçons (Omer et Ismaël).
Noces rebelles d’un gosse de riche devenu inventeur de gadgets pour grands enfants, et d’une beurette échappée du quartier des Minguettes, métamorphosée en muse des plus grands noms de la mode, les Jean-Paul (Goude et Gaultier), Azzedine (Alaïa) et autres. Les clichés des mariés et des invités ont fait le bonheur des gazettes people. Un vrai carnet mondain : BHL, Arielle Dombasle, Carla Bruni, Nicolas Sarkozy, Mick Jagger, Elle Macpherson… Amour, gloire et beauté sur papier glacé. Des images paillet-tes, glamour. Et simplistes.
Henri Seydoux est un être complexe. Touchant avec son allure de poète planqué derrière son look d’ingénieur – vivre avec une gravure de mode, s’amuse le PDG de Parrot, n’a guère amélioré son sens vestimentaire. Ultrasérieux sous ses airs de grand gamin au tutoiement inné. Philippe Starck, comparse créateur – et son témoin de mariage – le qualifie avec tendresse d’"ovni". Au premier questionnement, l’homme se prend la tête entre les mains. Prévient : "J’ai un gros défaut, je me perds parfois dans mes explications." Geoffroy Roux de Bézieux, l’un de ses administrateurs, taquine : "C’est sûr, ce n’est pas un marchand de cravates ! Même nous, on a parfois du mal à le suivre dans son monde d’inventeur." La publicitaire Natalie Rastoin, autre complice, complète : "Timide, embrouillé… la réalité, c’est qu’Henri réfléchit tout le temps en parlant. Chez lui, la machine tourne en permanence."
Depuis 1994, en l’occurrence, la "machine" d’Henri Seydoux, c’est Parrot, une aventure née d’un rêve de gosse – imaginer un agenda à reconnaissance vocale pour aveugles ! –, devenu leader mondial des kits mains libres pour automobile, et défricheur d’objets sophistiqués commandés par smartphone : drones, enceintes, système d’arrosage pour plantes… Une épopée qui l’a propulsé au 365e rang du dernier classement Challenges des grandes fortunes. Une success story comme les pouvoirs publics en raffolent. En janvier, au CES de Las Vegas, grand raout de l’industrie, Emmanuel Macron a fait mumuse avec le drone Bebop, dernier best-seller maison. L’an dernier, ces jouets high-tech ont généré plus du tiers des revenus de Parrot (quelque 250 millions d’euros en 2014), et même plus de la moitié au second semestre.
Enième épisode d’une dynastie de "serial entrepreneurs" ? Henri Seydoux Fornier de Clausonne, Schlumberger par sa grand-mère Geneviève, est l’héritier d’une longue lignée d’industriels alsaciens protestants. Où l’effort, la réussite et la richesse sans tapage vont (presque) de soi. La légende raconte d’ailleurs que Geneviève calculait l’argent de poche de ses enfants selon leur contribution au potager familial. Au fil des générations, les Schlumberger ont bâti leur nom dans le textile, la banque et surtout le pétrole. Le père d’Henri, Jérôme Seydoux – figure et patron intimidant de Pathé –, comme ses oncles Nicolas (Gaumont) et Michel, producteur, sont les derniers nababs du cinéma français. Sa fille Léa, 29 ans, Palme d’or à Cannes pour La Vie d’Adèle, et nouvelle James Bond girl, est l’une des actrices les plus bankables de l’Hexagone.
Noblesse oblige ? Henri Seydoux reconnaît "des trucs culturels" issus de la famille. Assume l’étiquette d’héritier et la critique de classe qui l’accompagne : "J’aurais du mal à le nier. J’ai eu la chance d’être issu d’une famille avec de réels moyens financiers, imprégnée du goût d’entreprendre, de la prise de risques, et d’une forme de réalisation de soi." Jérôme Seydoux, personnage peu enclin aux confidences analytiques, nuance : "Si on ne passait pas nos soirées à parler business à la maison, Henri a été exposé à cette culture, dit-il. Mais de là à dire que sa voie était toute tracée…"
Sa voie, justement, Henri l’a longtemps cherchée. Enfant dyslexique – "autant dire bon à rien à l’école" –, il comprend vite qu’il va devoir se débrouiller seul. En dehors du moule. Son bac C en poche, une fois envolés de vagues projets d’études de médecine, il devient rubricard à Actuel, mensuel hype fondé par Jean-François Bizot, qu’il a connu au Palace. Une curiosité journalistique qui le poussait, enfant, à réaliser les fanzines de son école. Pour Actuel, il rencontre Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce, qui lui fourgue une bible de programmation informatique. Seydoux se découvre une passion pour le codage et la bosse des maths. Sa route croise celle de François Mizzi, un ingénieur des Mines qui travaille sur un ordinateur de poche tactile – sorte de précurseur de l’iPhone d’Apple. Seydoux se jette à l’eau – adossé à un petit capital hérité de son grand-père – et -dépose ses premiers brevets.
En 1985, il s’associe à Pierre Buffin, futur pape des effets spéciaux dans le cinéma, pour monter sa première société, BCSA, dédiée aux images en 3D. Lorsqu’on l’interroge sur son modèle entrepreneurial, Henri Seydoux cite… François Truffaut et sa Nuit américaine, récit autobiographique des splendeurs et misères d’un self-made-cinéaste. A chaque aventure, la même obsession : "Inventer de manière sérieuse des trucs improbables, dit-il. Je n’aurais jamais pu faire carrière dans un truc qui existe déjà avec pour seul objectif de faire mieux. J’aime partir d’une feuille blanche."
L’héritier Schlumberger a trouvé sa route. Loin des forages pétroliers et des salles obscures. Mais s’est-il vraiment affranchi ? Longtemps, Henri Seydoux a inscrit "ingénieur" comme métier sur son passeport. La formation initiale de Jérôme. In fine, il affiche un parcours touche-à-tout assez semblable à celui du père qui, après avoir vu ses espoirs de présider l’empire familial s’évaporer, s’est forgé un destin inégalé dans le cinéma. En 1989, une séquence tragique va pousser le fils à couper davantage le cordon. Quelques années plus tôt, Jérôme Seydoux a divorcé de la mère d’Henri, Hélène Zumbiehl. Remariage en 1988 avec la bru de son ancien mentor, Jean Riboud, veuve depuis peu. Moins d’un an plus tard, Hélène Zumbiehl se suicide dans sa voiture. Trop de transgressions et de douleurs dans une famille aussi rigoriste. Le père et le fils resteront dix ans sans se voir.
"Henri n’a pas eu besoin de moi pour réussir, il s’est fait lui-même et il le revendique, glisse, pudique, Jérôme. C’est un vrai entrepreneur. Il le sera toute sa vie." De l’eau a coulé sous les ponts. Mais décrocher une photo des deux hommes ensemble reste un privilège rare – comme lors de l’avant-première de La Belle et la Bête, produit par Pathé, avec Léa en tête d’affiche. Chacun son art, chacun sa route ? "Ce conflit avec mon père m’a sans doute aidé", confie, avec tout autant de retenue, le fils.
A partir de là, le jeune homme met un point d’honneur à ne plus rien lui demander. Retour à la fameuse feuille blanche. Henri Seydoux revend ses parts dans BSCA, se sépare de la mère de Léa et de Camille, l’aînée, styliste. Nouvelles aventures. En 1990, il s’associe à Louboutin pour créer sa propre maison, dont il reste actionnaire. Quatre ans plus tard, il lance Parrot, perroquet en anglais – clin d’œil au fameux rêve d’agenda électronique vocal.
"Henri trouve toujours ses noms tout seul", célèbre Starck, pourtant pas le dernier en matière de jeux de mots et de marketing. Il y a trente ans, l’entrepreneur en herbe avait baptisé sa première boîte de software… Soft Seydoux ! Depuis, avec Starck notamment, il multiplie les objets et patronymes disruptifs : Zikmu, ses baffles au design épuré ; Jumping Sumo, un minidrone acrobate ; Flower Power, des capteurs sans fil pour plantes… Après Beth Ditto, chanteuse déjantée du groupe Gossip, et Carla Bruni, amie intime de Farida, il a choisi Conchita Wurst, drag-queen barbue vainqueur du dernier concours de l’Eurovision, comme nouvelle égérie de son casque sans fil Zik. Slogan : "Create your own world".
"Henri a très bien compris qu’il n’est ni General Electric ni IBM, et que lorsque l’on est dans les biens de consommation, il faut sans cesse passer à quelque chose de nouveau, sinon on est condamné", souligne Jérôme Seydoux. Ça tombe bien. Le PDG de Parrot bouillonne d’idées nouvelles. Au siège de l’entreprise, au bord du canal Saint-Martin à Paris, bastion bobo, son bureau vitré est à son image : un capharnaüm de babioles, mobilier d’usine et bouquins (emon autre gros défaut, je suis un rat de bibliothèquee) : art, sociologie, sciences… S’il n’avait pas été entrepreneur, dit-il, il aurait adoré être marchand de tableaux – plutôt de la peinture du xviiie – pour "le plaisir de découvrir dans une toile ce que personne d’autre n’a vu".
Benjamin Benharrosh, cofondateur de DelairTech, pépite des drones civils dans laquelle Seydoux a investi, remarque : "Il vient d’un monde différent, ses idées naissent d’analogies entre des milieux divers, c’est frais dans notre métier." Lorsque la nouvelle marotte surgit, gare à l’enthousiasme débordant du boss ! Rien ne lui plaît plus que de voir son auditoire le regarder "avec les yeux ronds comme des soucoupes… Ça veut dire que je tiens une idée." Seydoux est plutôt le genre à bidouiller des lignes de codes et les bêta-tests avec les ingénieurs qu’à jouer les patrons fignoleurs de business plans. "Un vrai geek", confirme Benharrosh, qui se souvient encore du jour où Seydoux s’est pointé incognito dans un salon, posant des questions pointues, et indiquant vaguement qu’il "bossait" pour Parrot. "Ah bon ? lui dit Benharrosh. Je croyais qu’ils n’embauchaient que de jeunes ingénieurs."
"Henri est la personne la plus libre qui soit, s’emballe l’ami Starck. C’est un électron chargé d’énergie qui peut partir dans tous les sens à tout moment, se combiner dans une nouvelle architecture, mais qui ne perdra jamais son noyau dur." Natalie Rastoin traduit : "Il est une combinaison unique entre un inventeur génial et un entrepreneur ultrasérieux." En 2009, le clan Schlumberger l’a choisi pour siéger au conseil du groupe. Au CES de Las Vegas, Seydoux a créé le buzz lors d’un échange musclé avec Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du Numérique : "Il n’y a aucune start-up en Europe qui est devenue une boîte mondiale, c’est dramatique !" 
Début février, c’est encore lui que les paparazzis ont aperçu avec Farida aux 60 ans de Nicolas Sarkozy. Consécration(s) ? "Je ne fais pas de politique, pas d’idéologie, et je n’ai pas de revanche à prendre sur le système. Ce qui m’intéresse, c’est de faire. Je ne crains pas les étiquettes", lâche-t-il. Fils de, père de, mari de… Mais pas dupe. Ainsi, quand on lui demande, à la fin de l’entretien, une photo de lui plus jeune, il répond aussitôt, l’air taquin : "Une photo au Palace, j’imagine ?"
PDG Audit Business plan Biens de consommation
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