Honoraires excessifs, service inutile, soupçons d’ententes avec les notaires… Certains généalogistes successoraux n’apparaissent pas toujours comme les heureux annonciateurs d’un héritage tombé du ciel.
En 2003 et 2012, le député Jean-Christophe Lagarde a déposé une proposition de loi visant à soumettre les honoraires des généalogistes à un barème règlementaire.
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Tout commence généralement par le coup de fil d’un généalogiste. Il annonce à son interlocuteur qu’il est probablement l’héritier d’une personne récemment décédée. Pour en savoir plus, il faudra que ce dernier signe un “contrat de révélation de succession”, par lequel le professionnel s’engage à lui révéler l’identité du défunt, moyennant finances. Trop content de ce cadeau tombé du ciel, le légataire présumé signe sans discuter, en acceptant parfois d’abandonner au généalogiste jusqu’à la moitié de ce qui est censé lui revenir.
“Tout travail mérite salaire… Bien sûr! Mais un pourcentage sur une quantité inconnue, imposé par chantage et pression […] n’est ni un salaire, ni légal. […] [Les généalogistes] savent bien que leurs prétentions sont exorbitantes et ne correspondent en rien au travail fourni. Autrement dit, c’est du vol !” Ces propos, recueillis sur un forum de discussion, reflètent une opinion largement partagée. A telle enseigne que, à deux reprises, en 2003 et 2012, le député Jean-Christophe Lagarde a déposé une proposition de loi visant à soumettre les honoraires des généalogistes à un barème réglementaire. Dans son exposé des motifs, il indique que “le mode de rémunération de ces spécialistes demeure relativement obscur et conduit, hélas, parfois à des excès. Ainsi, certains généalogistes demanderaient aux héritiers, à titre d’honoraires, 40 à 50 % de leur part d’héritage”. Aucune suite n’a été donnée à ces propositions.
Antoine Djikpa, président de l’Union des syndicats de généalogistes professionnels (USGP), relativise : “Ces pourcentages sont prélevés sur la part nette de la succession, recueillie par les héritiers, après paiement des droits de succession. Ainsi, dans le cas le plus fréquent de parents éloignés, l’Etat prélève 60 % sur l’actif brut. Les honoraires des généalogistes sont calculés sur les 40 % restants, ce qui correspond à 16 % de l’actif brut.” Soit, au final, quand même un tiers de l’actif net !
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Cependant, il existe toujours la possibilité de négocier. Les héritiers n’en ont pas souvent conscience, mais l’intérêt du généalogiste est d’emporter la signature du contrat de révélation. A défaut, il ne peut prétendre à aucune rémunération. D’où certains comportements insistants, voire menaçants… Face à un refus de signature, le professionnel a la possibilité d’intenter une action en justice sur le fondement de la gestion d’affaires (art. 1372 et suivants du Code civil), qui permet la rémunération d’une personne ayant agi dans l’intérêt d’une autre sans avoir été directement mandatée. Le généalogiste devra démontrer que c’est grâce à son travail et à son signalement à l’héritier que ce dernier a bénéficié de la succession. Lequel, pour contester, devra prouver qu’il avait déjà connaissance de ses droits successoraux.
Ceux qui n’ont pas eu le réflexe de négocier les honoraires avant la signature n’ont, en général, pas d’autre choix que de payer. Mais eux aussi disposent, malgré tout, d’un moyen de faire baisser la facture : saisir les tribunaux.
Dans un arrêt du 5 mai 1998, puis dans celui du 6 juin 2012, la Cour de cassation affirme le droit pour les juges de réduire les honoraires du généalogiste lorsqu’ils paraissent exagérés au regard des services rendus.
Souvent excessifs, les honoraires des généalogistes se révèlent parfois également inutiles. Se pose alors la question de leurs relations avec les notaires. C’est ce que souligne le député André Chassaigne dans une question écrite du mois d’avril 2014 sur les textes concernant la recherche d’héritiers par les notaires et les conditions de délégation aux généalogistes. “Alors que l’identification des héritiers ne présente aucune difficulté, écrit-il, voire que la liste de la dévolution successorale a été communiquée par les héritiers, certains notaires indélicats refusent de contacter chacun d’eux et font appel à un généalogiste, dont le travail consiste, de fait, à fournir leur propre état civil aux héritiers. Pour cela, le généalogiste mandaté par le notaire trompe les héritiers contactés en leur présentant un “contrat de révélation” qui lui permet de facturer un service fictif. Ces honoraires sont d’autant plus subséquents qu’ils sont évalués en pourcentage de la succession.” La question posée à la ministre de la Justice s’inspire de l’affaire Lendeberg/Coutot-Roehrig, pendante devant la Cour de cassation.
Stéphane Lendeberg est le fils et tuteur de Jacqueline, cousine et héritière de Jeanne Sipp, décédée en 2006 sans descendants ni ascendants directs. Il est informé par Raymond, son cousin, du décès de leur parente et de l’ouverture de la succession. Après les obsèques, Raymond prend contact avec le notaire, auquel il remet une étude généalogique sur la famille Sipp et indique les prénoms des héritiers vivants : ses deux frères et sa cousine Jacqueline. En mauvais termes avec ses frères, il confie au notaire le soin de les informer.
Par la suite, Raymond, ses deux frères et Jacqueline (par l’intermédiaire de son tuteur, Stéphane Lendeberg) reçoivent un courrier de la société de généalogie Coutot-Roehrig leur sou- mettant un contrat de révélation de succession. Ce qu’ont accepté les frères de Raymond, mais pas ce dernier, ni Stéphane Lendeberg. Le cabinet de généalogie a alors attaqué en justice les deux “récalcitrants” sur le fondement de la gestion d’affaires, c’est-à-dire du travail mené dans leur intérêt et pour lequel il exigeait une rémunération. En ce qui concerne Raymond, la société a été déboutée par le tribunal de grande instance, puis par la cour d’appel, qui considèrent qu’elle n’a pas pu démontrer l’utilité du service rendu en révélant la succession puisque l’héritier en avait déjà connaissance.
En revanche, les décisions sont moins favorables à Stéphane Lendeberg: tribunal et cour d’appel estiment que la société de généalogistes a rendu un service à Jacqueline en ce qu’elle l’a réellement informée de sa qualité d’héritière. Ils pointent le fait que son fils n’apporte aucune preuve, d’une part, que sa mère avait conservé des liens avec la parente décédée et, d’autre part, qu’elle était consciente d’être légataire avant l’intervention de la société de généalogie. En outre, les magistrats estiment que les éléments fournis par leur cousin Raymond au notaire sont insuffisants pour identifier Jacqueline comme parente héritière. Néanmoins, les deux juridictions diminuent les honoraires pour les fixer à 10 % de la part de Jacqueline, soit 6 000 euros au lieu des 24 000 euros demandés (40 % des 58 000 euros qui lui revenaient).
Stéphane Lendeberg s’est pourvu en cassation. La décision de la Cour est attendue courant mars. Tandis que le 15 janvier dernier, la réponse de la ministre de la Justice à la question d’André Chassaigne est tombée : “Il n’est pas envisagé de tarifer la rémunération des généalogistes successoraux.”
En tout état de cause, dans l’affaire Lendeberg/Coutot-Roehrig, plutôt que de rechercher si l’intervention du cabinet de généalogie était utile, la cour d’appel aurait pu relever la méconnaissance par le notaire de ses obligations. Il lui incombe d’établir la filiation des héritiers jusqu’au sixième degré. En conséquence, il ne doit recourir au généalogiste qu’après avoir procédé aux investigations propres à l’identification et à la localisation de ces héritiers. Ce qui est inutile lorsqu’il dispose de leurs noms et de leur lien de parenté avec le défunt. De là à suspecter des commissions versées aux notaires par les généalogistes, il n’y a qu’un pas.
Tout en reconnaissant que “la pratique des ristournes était autrefois d’usage”, Philippe Caillé, directeur de l’éthique et de la déontologie au Conseil supérieur du notariat, insiste sur les vertus de la convention de partenariat signée par les notaires et les généalogistes en 2008, en cours d’actualisation : “La convention interdit les ristournes et cadeaux individuels et collectifs, tels que l’organisation de voyages. En revanche, les généalogistes apportent une aide matérielle à la formation des jeunes notaires : location de salles, dons de fournitures, organisation de conférences… En échange de la suppression de leurs “largesses”, les généalogistes ont dû accepter la prise en charge de tous les dossiers, même modestes.” On voudrait y croire. Mais l’opacité cultivée par les généalogistes entretient le doute.
Témoignage de Robert : “J’ai dû faire intervenir un avocat”
“Après un appel téléphonique, le généalogiste m’a relancé plusieurs fois par courrier, dont une lettre recommandée, pour que je signe le contrat de révélation, ce que j’ai fait en avril 2012. Celui-ci prévoyait des honoraires de 30 et 40 % HT de l’actif net selon son montant et le degré de parenté avec le défunt. Moi, je l’ai su après, je me situais dans la tranche à 40 % : actif net inférieur à 15000 euros et parenté au cinquième degré. Fin mai, le généalogiste m’a indiqué le nom de la défunte dont j’étais parent, et la nature du patrimoine en des termes vagues : “liquidités” pour l’actif, et “courant” pour le passif. Son courrier était accompagné d’un pouvoir pour me représenter à la succession. Mais en juin 2012, il m’a informé que, “au regard des dernières informations obtenues par le notaire, l’actif étant trop modeste, nous mettons fin à nos relations contractuelles”. Sans nouvelles, en septembre 2013, j’ai dû faire intervenir un avocat. Un mois plus tard, j’ai reçu un chèque de près de 1700 euros, avec un compte de liquidation en blanc! Il a fallu que mon avocat se rapproche du notaire pour obtenir le détail de la succession.”
Témoignage de Michel : “Personne ne nous a parlé des assurances vie”
“En décembre 2010, mon père a reçu un courrier d’un généalogiste l’informant qu’il était probablement bénéficiaire d’un héritage. Il savait que sa tante, résidant dans le village voisin, était décédée en mars 2010. Pourtant, il a signé le contrat de révélation, prévoyant 25 % d’honoraires pour le généalogiste. Lorsqu’il a su qu’il s’agissait bien de sa tante, il a pris contact directement avec le notaire, qui lui a précisé que l’actif se composait de 20000 euros environ à la banque. Mon père décédant à son tour, sous la pression du généalogiste, ma mère, mes deux soeurs et moi avons dû le représenter à la succession. En décembre 2012, j’ai mené des recherches et découvert quatre contrats d’assurance vie souscrits par la tante de mon père, à propos desquels ni le notaire ni le généalogiste n’ont voulu me fournir d’éléments. Ils comprenaient au total 270000 euros, dont deux, plus de 170000 euros, entraient dans la succession faute de bénéficiaires! Il y avait d’autres héritiers. Le notaire a fini par nous verser la part qui nous revenait, près de 15000 euros à partager en quatre après avoir déduit 3500 euros pour le généalogiste. Lequel nous a seulement révélé ce que nous savions déjà, et sans aucun décompte.”
Témoignage de Robert : “J’ai dû faire intervenir un avocat”
“Après un appel téléphonique, le généalogiste m’a relancé plusieurs fois par courrier, dont une lettre recommandée, pour que je signe le contrat de révélation, ce que j’ai fait en avril 2012. Celui-ci prévoyait des honoraires de 30 et 40 % HT de l’actif net selon son montant et le degré de parenté avec le défunt. Moi, je l’ai su après, je me situais dans la tranche à 40 % : actif net inférieur à 15000 euros et parenté au cinquième degré. Fin mai, le généalogiste m’a indiqué le nom de la défunte dont j’étais parent, et la nature du patrimoine en des termes vagues : “liquidités” pour l’actif, et “courant” pour le passif. Son courrier était accompagné d’un pouvoir pour me représenter à la succession. Mais en juin 2012, il m’a informé que, “au regard des dernières informations obtenues par le notaire, l’actif étant trop modeste, nous mettons fin à nos relations contractuelles”. Sans nouvelles, en septembre 2013, j’ai dû faire intervenir un avocat. Un mois plus tard, j’ai reçu un chèque de près de 1700 euros, avec un compte de liquidation en blanc! Il a fallu que mon avocat se rapproche du notaire pour obtenir le détail de la succession.”
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“En décembre 2010, mon père a reçu un courrier d’un généalogiste l’informant qu’il était probablement bénéficiaire d’un héritage. Il savait que sa tante, résidant dans le village voisin, était décédée en mars 2010. Pourtant, il a signé le contrat de révélation, prévoyant 25 % d’honoraires pour le généalogiste. Lorsqu’il a su qu’il s’agissait bien de sa tante, il a pris contact directement avec le notaire, qui lui a précisé que l’actif se composait de 20000 euros environ à la banque. Mon père décédant à son tour, sous la pression du généalogiste, ma mère, mes deux soeurs et moi avons dû le représenter à la succession. En décembre 2012, j’ai mené des recherches et découvert quatre contrats d’assurance vie souscrits par la tante de mon père, à propos desquels ni le notaire ni le généalogiste n’ont voulu me fournir d’éléments. Ils comprenaient au total 270000 euros, dont deux, plus de 170000 euros, entraient dans la succession faute de bénéficiaires! Il y avait d’autres héritiers. Le notaire a fini par nous verser la part qui nous revenait, près de 15000 euros à partager en quatre après avoir déduit 3500 euros pour le généalogiste. Lequel nous a seulement révélé ce que nous savions déjà, et sans aucun décompte.”
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