Pour favoriser les transmissions transgénérationnelles dans le cadre du règlement d’une succession, le 118e Congrès des notaires a émis le vœu de modifier les règles légales de la dévolution successorale en retenant le principe selon lequel une succession devrait être dévolue par souche, ce qui supprimerait le mécanisme de la représentation civile lors du règlement d’une succession sans testament. Toutefois, des outils juridiques existent aujourd’hui pour permettre de telles transmissions.
Aujourd’hui, le vieillissement de la population a pour conséquence que les enfants héritent de plus en plus tard de leurs parents. L’âge moyen pour hériter est de 52 ans, contre 40 ans dans les années 1980, et devrait encore s’allonger dans les années à venir.
Il n’est pas rare, lors du décès d’un parent, que des enfants interrogent leur notaire sur la possibilité de transmettre tout ou partie du patrimoine recueilli dans la succession de leur auteur à leurs propres descendants. En effet, lorsque les enfants héritent, ils sont souvent bien installés dans leur vie et n’ont plus besoin de recueillir un tel capital. Ils sont d’ailleurs généralement eux-mêmes dans une réflexion de transmission de leur propre patrimoine à leurs enfants ou sont en train de le faire pour les aider à s’installer tout en optimisant celle-ci sur le plan fiscal.
À défaut pour le défunt d’avoir anticipé le règlement de sa succession, le notaire n’est pas totalement dépourvu d’outils à proposer aux enfants qui souhaiteraient mettre en place une stratégie, lors de l’ouverture d’une succession, pour réaliser un saut de génération.
Lors du règlement d’une succession, la loi détermine les héritiers appelés à succéder à une personne décédée lorsque celle-ci n’a pas établi de testament. Ainsi, lorsqu’une personne laisse des descendants (enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants), la loi pose la règle du degré pour désigner ceux qui hériteront. Le degré est le nombre de générations séparant les héritiers du défunt. Ainsi, les enfants étant plus proches en degré du défunt (1er degré) que les petits-enfants (2e degré), ce sont eux qui recueilleront l’intégralité du patrimoine successoral. Les petits-enfants sont donc écartés de la succession de leurs grands-parents.
Le Code civil prévoit toutefois une exception à cette règle en cas de décès d’un enfant avant son propre parent. En effet, en cas de prédécès d’un enfant laissant lui-même une descendance, le législateur a mis en place le mécanisme de la représentation successorale qui est une fiction juridique dont l’effet est de permettre à un héritier plus éloigné en degré d’exercer dans la succession les droits d’un héritier plus proche. Ainsi, la représentation permet aux petits-enfants de recueillir, dans la succession de leur grand-parent, la quote-part d’héritage qui aurait dû revenir à leur parent s’il avait été en vie1.
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a étendu le mécanisme de la représentation en permettant à un petit-enfant de représenter son parent renonçant dans une succession. Avant cette loi, les héritiers renonçaient à une succession lorsque celle-ci était déficitaire, c’est-à-dire que le passif successoral était supérieur à l’actif successoral. Pour ne pas régler les dettes du défunt et être tenus sur leur propre patrimoine, les ayants droit renonçaient à la succession.
Depuis le 1er janvier 2007, la renonciation à succession est devenue un outil de gestion et de transmission de patrimoine. En effet, elle favorise les transmissions de patrimoine transgénérationnelles en permettant aux enfants de renoncer à la succession de leur auteur pour transmettre à leurs propres enfants. Ainsi, les petits-enfants peuvent recueillir le patrimoine de leurs grands-parents si leurs propres parents sont d’accord pour renoncer à la succession.
Toutefois, cet outil présente un inconvénient majeur lié au principe de l’indivisibilité de l’option successorale. En effet, l’héritier est tenu d’accepter ou de renoncer à toute la succession. Dit autrement, c’est tout ou rien en termes d’héritage.
Si la renonciation à succession est utilisée dans les familles dont le patrimoine est relativement important, l’indivisibilité de l’option constitue un frein pour les héritiers dont le patrimoine l’est moins. Ils ont souvent besoin de recueillir une partie de l’héritage tout en voulant laisser une autre partie à leurs propres ayants droit. Or, en l’état actuel et en l’absence d’un testament laissé par un défunt, il n’est pas possible, pour un héritier, de choisir tel bien ou telle quote-part pour composer sa part d’héritage en laissant ce qu’il n’a pas recueilli revenir à sa propre descendance.
L’une des propositions du 118e congrès des notaires de France, qui s’est tenu courant octobre 2022, est de reconnaître à l’enfant la faculté de décider seul de la quotité qu’il entend retenir dans la succession dont il est saisi (moitié en pleine propriété, un tiers en pleine propriété, etc.) ; le surplus profitant alors à ses propres enfants. Il a ainsi été proposé de retenir le principe selon lequel une succession devrait être dévolue par souche. Le principe de l’indivisibilité de l’option disparaîtrait au profit d’un nouveau mécanisme légal qui s’apparente au cantonnement et qui permettrait de faire du « sur-mesure » pour chaque succession.
Un tel bouleversement des règles successorales sur le plan civil devra nécessairement s’accompagner d’un changement législatif sur le plan fiscal. En effet, les droits de succession à acquitter au Trésor public lors du règlement d’une succession sont actuellement calculés selon le lien de parenté existant entre le défunt et l’héritier.
Toutefois, lorsque des petits-enfants héritent dans la succession de leur grand-parent par représentation de leur parent renonçant, l’abattement légal de 100 000 € en ligne directe dont bénéficie l’enfant renonçant2 se divise entre ses propres enfants par parts égales. Ensuite, chaque petit-enfant est taxé dans des tranches selon un barème progressif allant de 5 à 45 %.
Si le dispositif de la représentation disparaît au profit d’un cantonnement légal, le congrès propose que les règles fiscales soient également modifiées en matière de transmission successorale afin que l’abattement légal de 100 000 € soit réparti entre l’enfant et le petit-enfant selon la quote-part reçue par chacun. À défaut, et dans la mesure où la taxation aux droits de succession a lieu selon le lien de parenté, le petit-enfant bénéficiera seulement d’un abattement légal de 1 594 €. Il sera ensuite taxé dans les tranches du barème progressif comme indiqué ci-dessus. Si la transmission intergénérationnelle peut s’avérer avantageuse sur le plan civil, elle le sera beaucoup moins sur le plan fiscal sans intervention législative.
Si la renonciation à succession permet d’opérer une transmission transgénérationnelle en l’absence de planification de la succession, il est possible de l’organiser « sur-mesure » en l’anticipant.
Véritable stratégie et outil de transmission successorale « sur-mesure », le cantonnement conventionnel est une innovation majeure de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 qui permet d’organiser volontairement la dévolution du patrimoine successoral et de favoriser la transmission transgénérationnelle avec saut de génération pour échoir directement aux petits-enfants. Le prérequis indispensable pour recourir à cette « faculté de cantonnement » est de planifier sa succession à travers un testament et d’y prévoir que les enfants sont institués légataires universels conjoints avec une représentation testamentaire au profit de leurs propres descendants, en cas de prédécès, de renonciation ou de cantonnement. À défaut de prévisions testamentaires, le mécanisme du cantonnement conventionnel ne pourra pas s’enclencher. Dans une telle configuration, le legs universel conjoint permet de léguer tout l’actif successoral par parts égales à chacun des enfants, respectant ainsi les contraintes de la réserve héréditaire – la part réservée par la loi revenant aux enfants –, mais surtout leur offre un choix de stratégie patrimoniale à opérer à l’ouverture de la succession de leur parent : appréhender soit la totalité de la succession conformément à leur legs, soit une partie de la succession (une quotité comme 1/8e, un bien déterminé, une quote-part en usufruit, etc.) en exerçant leur faculté de cantonnement. Le surplus du legs universel non accepté et non cantonné par chacun des enfants sur leur part sera transmis directement aux héritiers de second rang, à savoir les petits-enfants. Ainsi, le choix repose sur les enfants de laisser la place à leurs propres enfants afin que le patrimoine successoral soit recueilli en tout ou partie directement par eux. Fiscalement, la transmission réalise un saut de génération, évitant ainsi une double taxation aux droits de mutation à titre gratuit.
L’assurance sur la vie constitue également un outil de transmission patrimonial pour intégrer la génération des petits-enfants. L’intérêt d’y recourir est de transmettre aux petits-enfants un patrimoine « hors succession » sans être contraint par la réserve héréditaire. En effet, le capital issu du contrat dénoué est dispensé de rapport et de réduction sauf si les primes sont manifestement exagérées ou excessives au regard notamment du patrimoine global du grand-parent.
Par ailleurs, prévoir une clause bénéficiaire à options dans un contrat d’assurance sur la vie est également un outil idéal offrant de la souplesse au dénouement du contrat pour favoriser les transmissions « sur-mesure » et transgénérationnelles. Elle permet ainsi de conférer à un bénéficiaire de premier rang un droit d’option/de choix entre une attribution en pleine propriété et/ou en usufruit du capital décès, le surplus ou la fraction de capital non acceptée par le bénéficiaire de premier rang revenant aux bénéficiaires de deuxième rang et, à défaut, aux bénéficiaires de troisième rang. Dans ce cas, la fiscalité est toujours celle existante entre l’assuré et chacun des bénéficiaires successifs et le saut de génération ne sera pas analysé en donation indirecte entre les différents bénéficiaires. Dans le cas d’un démembrement sur les capitaux d’assurance-vie en cas d’option pour l’usufruit par le bénéficiaire de premier rang, il sera pertinent de prévoir une convention de quasi-usufruit.
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a également introduit la possibilité de réaliser une donation-partage au profit de descendants de générations différentes et d’associer ainsi enfants et petits-enfants dans une même opération appelée donation-partage « transgénérationnelle ». La logique de cet acte est d’anticiper deux successions à la fois, celle du ou des grands-parents et celle de l’enfant en intégrant le ou les petits-enfants. Cette opération nécessite l’accord de la génération intermédiaire – les enfants – puisque les petits-enfants sont allotis en lieu et place des enfants, réalisant ainsi un partage par souche qui répond à l’objectif de respect de la réserve. De cette manière, les grands-parents peuvent donner une quote-part plus importante et « sur-mesure » de leur patrimoine au profit de leurs petits-enfants sans encourir le risque de réduction de la donation tout en y associant les avantages civils de la donation-partage – pas de réévaluation au jour du décès et pas rapportable à la succession. Recourir à la donation-partage transgénérationnelle présente également des avantages fiscaux en évitant une double taxation des biens aux droits de mutation à titre gratuit.
N’oublions pas que, si de tels schémas familiaux ne peuvent avoir lieu que dans les familles où la bonne entente règne, la création d’une indivision entre deux générations de souches différentes pourra rendre difficile la gestion sur les biens successoraux. Le notaire ne manquera pas de proposer la signature d’une convention d’indivision pour désigner un gérant, faciliter la gestion des biens indivis, convenir des modalités de jouissance et de participation aux dépenses des biens indivis, etc.
Référence : AJU006t7