En matière de gestion de patrimoine, la protection du chef d’entreprise est souvent un sujet sous-estimé, parfois même traité à la marge. Pourtant, en cas de pépin grave (invalidité, incapacité, décès) non anticipé, les répercussions financières, juridiques et fiscales peuvent mettre la famille en danger et créer des situations complexes à dénouer, mettant à mal les finances privées : baisse drastique des revenus du ménage et donc du niveau de vie, droits de succession à payer, dettes à honorer, sans parler de l’imbroglio concernant la détention des titres de la société avec d’éventuels autres associés.
« Pour éviter de se trouver dans de telles situations lors de ces scénarios du pire, il convient de se protéger à titre personnel en amont et à trois niveaux : soi-même, son conjoint et ses enfants mineurs, s’il y en a », indique Sophie Nouy, directrice du pôle d’expertise patrimonial de Cyrus Conseil. Dans ce domaine, les stratégies de prévoyance existent et sont même cumulables.
Toutefois, avant d’opter pour une ou plusieurs solutions, différents éléments sont à apprécier : les revenus du foyer, la situation professionnelle du conjoint, les dettes en cours et l’âge des enfants. « Il y a à la fois un sujet de flux destinés à maintenir le niveau de ressources du foyer en cas de décès du dirigeant et un sujet de stock qui consiste à pouvoir mobiliser les sommes nécessaires pour régler les droits de succession », résume Philippe Dabat, membre du comité de direction du groupe AG2R La Mondiale. À côté de l’assurance « homme clef » souscrite au sein de l’entreprise pour aider à recruter un successeur, des initiatives individuelles complémentaires sont fortement conseillées.
Une première parade consiste à souscrire une assurance décès, destinée à assurer, sur une période temporaire, une protection financière à la famille de l’assuré. Il s’agit d’une assurance dont les primes sont versées à fonds perdu, mais qui garantit le versement d’une somme définie à l’avance au profit des bénéficiaires désignés. « Cette protection est simple et efficace pour un dirigeant trentenaire qui a encore peu de patrimoine personnel. Une prime de quelques milliers d’euros par an permet de s’assurer pour un capital proche du million d’euros », souligne Christelle Sauvage, directrice de l’ingénierie juridique et fiscale de la banque Indosuez Wealth Management. Une fois débloquées, ces liquidités permettront de faire face au règlement des droits de succession payables dans les six mois, ou pourront être versées aux enfants, sous la forme d’une « rente éducation » destinée à financer leurs études.
La rédaction d’un mandat de protection future constitue une autre piste pour protéger le chef d’entreprise. Facile à mettre en place, cette disposition juridique donne la possibilité de prévoir la désignation d’un mandataire en remplacement du dirigeant dans le coma ou devenu incapable. « Cela permet d’organiser la bonne continuité de la gouvernance en cas d’accident de la vie, et ainsi éviter de bloquer les décisions de gestion. De façon indirecte, cela permet aussi de s’assurer que le patrimoine qui reviendra aux héritiers présomptifs (le conjoint et/ou les enfants mineurs) ne verra pas sa valeur se détériorer dans le temps », précise Guillaume Lucchini, président de Scala Patrimoine.
À ce titre, un « pacte d’associés » entre les cofondateurs de l’entreprise peut être signé. Ce dispositif prévoit que si l’un d’entre eux décède, les autres peuvent décider de racheter ou pas les parts aux héritiers. Pour davantage de protection, « le mieux est parfois de souscrire, en parallèle, un contrat d’assurance décès croisé, où les associés sont bénéficiaires de l’autre. Ici chacun paie sa prime à titre personnel. Cette précaution permettra au bénéficiaire de toucher un capital destiné à racheter les parts des héritiers », conseille Sophie Nouy. Et ces derniers récupéreront ce cash qui servira à régler les droits de succession.
La souscription d’un contrat d’assurance-vie avec la rédaction d’une clause bénéficiaire démembrée est une option à envisager, cela permet de réaliser une double transmission. L’usufruitier désigné serait le conjoint survivant et les nus-propriétaires les enfants. « Dans cette configuration, on peut prévoir une clause de quasi-usufruit pour le conjoint survivant. Ainsi, il pourra, en franchise de droits de succession (dans la limite de 152.500 euros par bénéficiaire), disposer librement de la totalité des fonds, à charge pour lui d’en restituer la valeur aux enfants à son propre décès », explique Marie-Hélène Deboislorey, présidente d’Efi Patrimoine, cabinet de gestion de patrimoine et de family office.
La plus ou moins bonne protection de son conjoint passe aussi par la nature du régime matrimonial. Voilà pourquoi ce dernier doit être mis sur la table. « Il convient même de le réexaminer tous les quatre ans pour s’assurer qu’il est toujours bien adapté à la situation du moment, ou s’il a besoin d’être mis à jour », affirme Sophie Nouy. Si le régime de séparation de biens s’avère très protecteur pour le conjoint d’un dirigeant d’entreprise, il peut cependant devenir moins adapté notamment dans une perspective de transmission à terme aux enfants. « Il serait pertinent de modifier le régime matrimonial afin d’y adjoindre une société d’acquêts, en vue de réaliser un rééquilibrage des patrimoines entre les époux. En effet, la société d’acquêts constitue au sein du régime séparatiste ‘une bulle communautaire’ à laquelle peut être apportée une partie des titres de l’entreprise tout en se prémunissant du risque d’un divorce au moyen d’une clause de reprise d’apport », détaille Christelle Sauvage.
Tous droits réservés – Les Echos 2020