La prescription de l’action en nullité pour insanité d’esprit du souscripteur en assurance-vie est soumise au délai quinquennal des articles 1304 (ancien) et 2224 du Code civil. Après le décès de la souscriptrice, les bénéficiaires évincées, héritières, qui agissent sur ce fondement peuvent se trouver en situation d’impossibilité d’agir, ce qui empêche la prescription de courir à leur encontre. Dès lors, les juges du fond sont approuvés de retenir que le point de départ de l’action des petites-filles doit être le jour où elles ont connu, ou auraient dû connaître, les faits leur permettant de demander la nullité de la modification de la clause par leur grand-mère.
Cass. 1re civ., 26 mai 2021, no 19-21478
Extrait :
La Cour :
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 2 juillet 2019), R. I. est décédé le [Date décès 1] 2012, laissant pour lui succéder Mme N., son épouse, et deux enfants issus d’une précédente union, Mmes S. et O. I. Il dépend de cette succession un capital versé à R. I. en exécution d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit par sa mère, L. I., décédée le [Date décès 2] 2006.
2. Un litige est né quant au règlement de la succession de R. I. et à la validité de la modification effectuée, le 8 février 2003, par L. I., de la clause désignant le bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, ci-après annexés
3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Énoncé du moyen
4. Mme N. fait grief à l’arrêt de déclarer Mmes I. recevables en leur demande d’annulation de la modification de la clause bénéficiaire du contrat Acti+Mutavie n° 001-008/3120015, effectuée par lettre du 8 février 2003 au profit de R. I., alors « qu’en toute hypothèse, en application de l’article 1304 du Code civil, dans sa version alors en vigueur, la prescription de l’action en nullité d’un acte pour insanité d’esprit courait, à l’égard de l’héritier, à compter du décès du défunt ; qu’en retenant, pour juger recevable l’action exercée par Mmes S. et O. I. tendant à l’annulation pour insanité d’esprit de la modification de la clause désignant le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, que les demanderesses n’avaient eu connaissance de la prétendue cause de nullité que le 8 juin 2011, cependant que l’action introduite plus de cinq ans après le décès de leur grand-mère survenu le 26 juillet 2006, était prescrite au regard des textes applicables lorsque la prescription avait commencé à courir, la cour d’appel a violé l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007. »
Réponse de la Cour
5. La prescription ne court pas à l’encontre de celui qui est dans une impossibilité d’agir.
6. L’arrêt retient à bon droit que le délai de la prescription de l’action de Mmes I. a eu pour point de départ le jour où elles ont connu, ou auraient dû connaître, les faits leur permettant de demander la nullité de la modification de la clause désignant le bénéficiaire du capital prévu par le contrat d’assurance sur la vie.
7. Ayant souverainement estimé que celles-ci avaient eu connaissance, lors du décès de leur grand-père survenu le 8 juin 2011, du fait que le capital prévu par le contrat d’assurance sur la vie leur était destiné, avant la désignation d’un autre bénéficiaire par leur grand-mère, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en nullité, introduite moins de cinq années après cette date, était recevable.
8. Le moyen n’est donc pas fondé.
Par ces motifs, la Cour :
Rejette le pourvoi ;
(…)
Cass. 1re civ., 26 mai 2021, no 19-21478
La Cour de cassation revient par un arrêt inédit1 sur la prescription de l’action en nullité pour insanité d’esprit en matière de modification de la clause bénéficiaire en assurance-vie2. Nous avions récemment évoqué la suspension3.
Faits. Le 26 juillet 2006, est décédée la mère de famille souscriptrice en 1986 d’un contrat d’assurance-vie. Par lettre signée du 8 février 2003, elle avait modifié la désignation bénéficiaire au profit de son fils. Ce fils, qui a reçu un capital en exécution du contrat d’assurance-vie (le 23 octobre 2007), est lui-même décédé en 2012, laissant son épouse et deux enfants issus d’une précédente union. Un litige est né quant au règlement de sa succession et à la validité de la modification du bénéfice par la grand-mère. Les enfants du défunt, initialement bénéficiaires, ont demandé l’annulation de la clause changée supprimant leur bénéfice. La veuve de leur père s’y est opposée en opposant la prescription de l’action à l’encontre de ses belles-filles. Par parenthèse, l’annexe de l’arrêt nous apprend que le mari de la grand-mère était à l’origine le bénéficiaire de premier rang devant les petites-filles, avant une inversion en 1987, le grand-père passant alors en deuxième ligne.
La difficulté se concentre sur la recevabilité de la demande d’annulation admise par la cour d’appel de Versailles dans son arrêt confirmatif du 2 juillet 20194. Le fondement de l’action en nullité est l’insanité d’esprit. Les petits-enfants, descendants de la souscriptrice, comme leur père décédé, tous héritiers quel que soit l’ordre de succession (C. civ., art. 734), sont bien titulaires de l’action à ce titre.
Envisageons successivement les titulaires de l’action en nullité dans le délai quinquennal, le point de départ de la prescription, l’impossibilité d’agir en nullité, et la recevabilité et le bien-fondé de l’action en insanité.
À la mort de l’auteur de l’acte, ses « héritiers » peuvent agir afin de prouver l’insanité5. Qui sont-ils ? La jurisprudence s’est prononcée. Pour l’insanité, en tant que continuateurs du défunt, les successeurs universels légaux ou testamentaires6 ou le légataire à titre universel peut-on admettre7 peuvent agir, et non le légataire à titre particulier8. Il en va semblablement pour un acte à titre onéreux9.
Le point n’est pas utilement discuté, même si le pourvoi a rappelé que les petites-filles ne pouvaient pas agir ès qualité d’héritières de leur grand-mère lors de son décès, droit « qu’elles ne possédaient d’ailleurs pas en l’absence de prédécès de leur père au jour de l’ouverture de la succession »10. L’auteur de l’acte étant seul titulaire de l’action de son vivant11, l’action propre de l’héritier ne peut effectivement naître qu’à son décès12. Et le père nouveau bénéficiaire et héritier n’a évidemment pas agi dans le délai ouvert aux héritiers avant son expiration, ce qui aurait été contraire à son intérêt13. Toutefois, pour tenter d’expliquer l’arrêt muet sur ce point, il ne faut pas, semble-t-il, se polariser sur l’ordre des héritiers14 mais sur la qualité possible d’héritier susceptible d’appartenir à plusieurs personnes, même si certaines d’entre elles ont priorité sur d’autres. Réserver l’action au père, héritier en rang utile de sa mère, aurait conduit à fermer l’action pour ses filles (sauf à considérer qu’une nouvelle action naît à leur profit…). En effet, avec le décès de la grand-mère en 2006, l’action était fermée en 2011, car prescrite, avant même le décès du père en 2012 ! Incontestablement, les anciennes bénéficiaires avaient bien, ici aussi, la qualité d’héritières de leur grand-mère. Le droit de critique sur le terrain de l’absence de consentement leur était donc ouvert quant à la titularité de l’action, si l’on considère qu’elles étaient descendantes de la défunte. Sauf à défendre le bricolage opéré par une motivation non enrichie, il ne nous paraît pas possible de raisonner autrement, dès lors que leur action est jugée recevable. Ou alors, il faut admettre qu’un ancien bénéficiaire d’assurance-vie, qui ne serait pas également héritier en rang utile ou même, héritier simplement potentiel, pourrait attaquer les actes du souscripteur pour cause d’insanité. Cette dernière option élargirait le cercle des titulaires du droit de critique à des tiers non héritiers. Les petites-filles avaient la double qualité d’héritières et de bénéficiaires évincées. Néanmoins, il nous semble que dans la logique de la décision et de la jurisprudence sur le titulaire de l’action, la première de leur deux qualités doit être décisive. Par parenthèse, il n’est pas sûr que les juges se soient arrêtés pleinement, en toute conscience, sur cette interrogation.
En ce domaine, il faut retenir que l’action en nullité relative15 ne dérive pas du contrat d’assurance16, si bien qu’elle n’est soumise ni à la prescription biennale17 de l’article L. 114-1 du Code des assurances18 ni à celle, décennale, lorsque le bénéficiaire distinct du souscripteur agit19. Le droit spécial de l’assurance est écarté au profit du droit commun20. En effet, il ne s’agit ni du fond au regard d’une clause du contrat d’assurance ni de la forme mais d’un vice tenant à la personne du souscripteur puisque sa volonté est en discussion. On retrouve donc le délai quinquennal de droit commun de l’article 1304 (ancien), applicable en l’espèce, et désormais de l’article 2224 du Code civil21. Sous l’empire de l’ancien article 1304 (devenu C. civ., art. 1152)22, il était admis, en substance, que dans le cas où l’action en nullité n’était pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, l’action durait cinq ans23.
La veuve a fait valoir que « l’action introduite [par ses belles-filles] plus de cinq ans après le décès de leur grand-mère survenu en 2006, était prescrite au regard des textes applicables lorsque la prescription avait commencé à courir », à savoir l’ancien article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, prévoyant un délai de cinq ans, comme aujourd’hui. Dans cette ligne, la prescription était acquise fin juillet 2011. Le capital d’un montant de 407 280,84 € entrait-il dans la succession du père et époux ou était-il à attribuer directement aux seules filles du défunt car bénéficiaires directes de l’assurance en cas de nullité de la clause bénéficiaire modificative ?
Dans le silence regrettable des textes24, la jurisprudence a clairement retenu25, pour les héritiers poursuivant la nullité pour insanité de libéralités, d’un testament26 ou d’une donation27, que le point de départ du délai de prescription était le décès de l’auteur de l’acte litigieux, non la date de celui-ci, comme jugé pour l’auteur attaquant lui-même un acte à titre onéreux qu’il aurait conclu (sauf suspension).
Qu’en est-il pour la désignation initiale ou la modification du bénéficiaire ? Indépendamment du fait que la désignation peut être tenue secrète ou divulguée à son bénéficiaire, ainsi que d’autres actes modificatifs quant au bénéfice, il nous semble que le point de départ de la prescription de son action propre en nullité d’héritier ne peut être déterminé en fonction exclusivement de la connaissance ou non de celui-ci, puisqu’il ne dispose aucunement du droit d’agir en nullité pour insanité tant que l’auteur de l’acte est vivant – ce qui écarte encore la date de l’acte litigieux. Par souci de sécurité juridique, le décès du souscripteur paraît une date idoine (quitte à tempérer son application, comme on va le voir). Il ne peut y avoir inaction du bénéficiaire/héritier auparavant – ce qui justifie habituellement la prescription extinctive28 –, qui n’est pas encore habilité à agir. Autre chose est l’hypothèse de l’action en nullité introduite déjà par le défunt et continuée par reprise de l’héritier, qui n’obéit pas au régime des articles 489-1 (ancien) – en vigueur jusqu’au 1er janvier 2009 – ou 414-2 du Code civil.
À notre sens, une telle solution n’est pas remise en cause par la décision inédite commentée. Il en va ainsi même si dans le rejet du premier moyen de la seconde branche seul examiné29, la Cour de cassation décide (elliptiquement ?) que l’arrêt d’appel « retient à bon droit que le délai de la prescription de l’action [des deux enfants] a eu pour point de départ le jour où elles ont connu, ou auraient dû connaître, les faits permettant de demander la modification de la clause désignant le bénéficiaire du capital prévu par le contrat d’assurance sur la vie » (pt 6)30.
N’est-ce toutefois pas un autre point de départ, qui est sélectionné31, et approuvé par la Cour, inspiré comme par anticipation de la rédaction de l’article 2224 du Code civil32 issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ? Une lecture rapide ou précipitée pourrait le laisser penser, mais il nous semble qu’il faut relativiser, tenir compte du contexte de l’affaire et écarter une confusion qui pourrait accréditer l’idée d’un pseudo-revirement.
On peut néanmoins s’étonner a priori d’une telle situation. En effet, au décès de la souscriptrice en 2006, le contrat s’est a priori dénoué. Le bénéfice a même été obtenu par le père nouveau bénéficiaire avant son propre décès en 2012. Est-ce à dire que connaissant l’existence de la police, se sachant bénéficiaires, les petites-filles également héritières n’ont pourtant pas agi pendant plusieurs années pour le versement de la prestation auprès de l’assureur ? Qu’attendaient-elles, même si les contrats en déshérence ne sont pas chose rare ? Nous manquons d’éléments de fait, avec les seuls disponibles dans l’arrêt, pour fournir une explication dépassant l’étonnement. Il convient cependant de se reporter à l’annexe instructive de l’arrêt. Visiblement, si leur père a perçu le capital, il s’est gardé de le dévoiler à celles-ci jusque-là « gratifiées ». Ce n’est qu’au décès du grand-père que les juges du fond ont admis que les petites-filles ne pouvaient plus ignorer légitimement leur bénéfice passé, détruit par la modification au profit de leur père33. La croyance erronée en une co-souscription des grands-parents semble être sous-entendue34, avec un dénouement programmé au second décès, le conjoint survivant devenant seul titulaire du contrat, c’est-à-dire le grand-père.
Il nous semble que ce point de départ sélectionné, en l’espèce, relatif à la connaissance, s’explique par l’impossibilité absolue35 d’agir des petites-filles de la souscriptrice36, qui est mis en exergue par la réponse de la haute cour dès le premier point (pt 5)37 : « La prescription ne court pas à l’encontre de celui qui est dans l’impossibilité absolue d’agir »38. Depuis 2008, la loi a pris le relais de l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio : « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure »39. Toujours, l’empêchement ne saurait être relatif, propre à tel plaideur, mais il doit révéler un obstacle que tout un chacun subirait en étant placé dans les mêmes circonstances. La preuve incombe à celui qui se dit dans cette situation40. L’impossibilité peut affecter tant l’auteur de l’acte lui-même que celui qui, par suite de son décès, deviendra alors titulaire de l’action en nullité pour trouble mental.
La Cour se situe sur le bon terrain en écartant la critique sans nuance du point de départ voulu exclusivement au décès de l’auteur de l’acte pour les bénéficiaires/héritiers d’un contrat d’assurance-vie. C’est sur cet aspect que la motivation des juges du second degré est pesée41. Ceux-ci disposent d’un pouvoir d’appréciation souverain des faits à partir desquels est déduite l’impossibilité d’agir plus tôt dans l’ignorance du contenu du contrat d’assurance-vie, partant de sa qualité de bénéficiaire de premier rang, ici révélée postérieurement au décès de l’époux de la souscriptrice. Le point de départ de la prescription est simplement différé par rapport à la date normale du décès de l’assurée/souscriptrice. Du coup, en fait et pas en droit42 – on insiste –, on rejoint une course du délai au jour où le titulaire a connu les faits lui permettant d’exercer l’action. La cour d’appel a « exactement déduit que l’action en nullité, introduite moins de cinq années après cette date [i.e. celle de la connaissance], était recevable » (pt 7).
Il fallait donc vérifier l’état d’esprit des petites-filles sur leur qualité de bénéficiaires, perdue, en fait, dès 2003. La cour d’appel a « souverainement estimé que celles-ci avaient eu connaissance, lors du décès de leur grand-père survenu le 8 juin 2011, du fait que le capital prévu par le contrat d’assurance sur la vie leur était destiné, avant la désignation d’un autre bénéficiaire par leur grand-mère » (pt 7). Grâce à leur ignorance légitime jusqu’en 2011, les bénéficiaires évincées pouvaient donc agir jusqu’à début juin 201643, soit presque cinq ans de gagnés par rapport à la date du décès de l’auteur de l’acte contesté. En parallèle, signalons que la Cour de cassation a admis un point de départ décalé de la prescription, par une suspension accordée, au motif de la sujétion psychologique de celui devant agir44.
On ne peut toutefois s’empêcher d’imaginer que, dans de telles affaires de conflits patrimoniaux et familiaux, en présence d’une personne vulnérable, il existe parfois des solutions opportunes qui permettent d’ouvrir la discussion sur l’existence ou non de la volonté. L’objectif louable de la solution concrète adoptée n’est malheureusement pas servi par une motivation réellement limpide.
Attention : la recevabilité ne préjuge pas du bien-fondé de l’action car la charge de la preuve de l’insanité repose sur le demandeur en nullité, avant comme après le décès de l’auteur de l’acte juridique45. La solution vaut avant comme après le 1er janvier 2009, date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions (ici, la modification bénéficiaire est de 2003). Hors libéralité, après le décès de l’auteur de l’acte, il faut transiter par les cas d’ouverture de l’ancien article 489-1 devenu l’article 414-2 du Code civil46. Sur ce terrain47, pour la Cour de cassation48, la modification de la clause bénéficiaire obéit au régime restrictif49, ainsi qu’à la preuve au moment de l’acte par tous moyens. La veuve pourrait retrouver la joie de l’héritage (même partagé) du mari disparu malgré la recevabilité de l’action en nullité des belles-filles, sauf à ce que « l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental » – démonstration pour le moins difficile.
En pratique, le notaire doit veiller à bien connaître le point de départ des actions susceptibles de perturber les transmissions patrimoniales, spécialement les raisons qui pourraient allonger le droit de critique de certains.
Référence : AJU002v2

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