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Deux chercheuses françaises étudient depuis 2018 la dynamique de création de pages Wikipédia dédiées à une crise. Elles ont intégré à ces travaux l’actuelle pandémie de Covid-19. Un entretien à (re)découvrir à l’occasion des 20 ans de Wikipédia le 15 janvier 2021.
La page francophone dédiée à la pandémie de Covid-19 a été créée le 19 janvier 2020 sous le titre “Epidémie de pneumonie en Chine 2019-2020”.
Tout internaute en a fait l’expérience après avoir tapé un mot clef dans un moteur de recherche : parmi les premiers résultats, quand ce n’est pas le premier, figure immanquablement une page Wikipédia. Au sein du consortium de recherche Euridice dédié aux crises et à la gestion de crise, Caroline Rizza, enseignante-chercheuse en sciences de l'Information et de la communication à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (CNRS, Telecom Paris, École polytechnique de Paris), et la sociologue Sandrine Bubendorff ont d'abord étudié comment l’information se crée et circule sur Internet lors de crises. Elles ont enchaîné en 2018 avec un projet financé par l’Agence nationale de la recherche consacré spécifiquement aux initiatives citoyennes sur les réseaux sociaux en temps de crise, comme la création de pages Wikipédia. Focalisées au départ sur des attentats, des catastrophes naturelles ou industrielles, les chercheuses ont intégré la pandémie de Covid-19 à leurs travaux.
Sciences et Avenir : La vocation encyclopédique de Wikipédia se prête-t-elle à des sujets de crise traités à chaud ?
Caroline Rizza : Traiter d’un événement en cours est un peu anormal pour une encyclopédie, et cela fait d’ailleurs partie des débats entre contributeurs, mais le mode de fonctionnement de Wikipédia et de sa communauté lui permet de le faire : des mécanismes sont mis en place pour garantir la véracité des informations agrégées, parfois en temps réel, tels que les bandeaux, le travail sur les sources, les discussions sur une page dédiée. Wikipédia est reconnue pour la rigueur de ses contributeurs mais il n’y a pas de spécialisation relative aux crises. 
Votre projet concernait d’abord des événements de sécurité civile (attentats de 2015 à Paris, ouragan Irma de 2017). La pandémie de Covid-19 obéit-elle aux mêmes dynamiques ?
Caroline Rizza : Qu’elle soit anticipée (une crue, un ouragan) ou soudaine (attentat), le temps de la crise est habituellement rapide : il génère un pic avec un “retour à la normale” dans les heures ou les jours qui suivent. Quelques minutes après l’événement, un article est créé. Il attire de nombreux contributeurs et connaît de nombreuses modifications en très peu de temps. La crise sanitaire actuelle a provoqué un pic de contributions mais qui stagnent ensuite en plateau, sans prévision possible d'un retour à la normale. Mais sa cinétique lente se prête davantage aux manières de faire déjà en vigueur sur Wikipédia pour des sujets communs. 
Comment avez-vous travaillé ?
Sandrine Bubendorff : Le gros avantage de Wikipédia réside dans ce que toutes les données sont accessibles, sans inscription. Qu’ils s’agissent  des fils de discussion, des historiques de création d’articles, de la dynamique des archives. Après, nous avons repéré dans tout cela les événements qui nous intéressaient. Nous avons observé les pics de contribution, qui contribuait, nous avons analysé la manière dont se construisent les pages. Nous avons aussi observé de près les pages “discussion” ainsi que la rubrique “Le bistro” de Wikipéedia, qui est un peu la place publique de la plate-forme.
La matière scientifique et les incertitudes inhérentes au sujet Covid-19 ont elles mené à des pratiques nouvelles ?
Tout internaute en a fait l’expérience après avoir tapé un mot clef dans un moteur de recherche : parmi les premiers résultats, quand ce n’est pas le premier, figure immanquablement une page Wikipédia. Au sein du consortium de recherche Euridice dédié aux crises et à la gestion de crise, Caroline Rizza, enseignante-chercheuse en sciences de l'Information et de la communication à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (UMR9217 CNRS, Telecom Paris, une école de l'IMT), et la sociologue Sandrine Bubendorff ont d'abord étudié comment l’information se crée et circule sur Internet lors de crises. Elles ont enchaîné en 2018 avec un projet financé par l’Agence nationale de la recherche consacré spécifiquement aux initiatives citoyennes sur les réseaux sociaux en temps de crise, comme la création de pages Wikipédia. Focalisées au départ sur des attentats, des catastrophes naturelles ou industrielles, les chercheuses ont intégré la pandémie de Covid-19 à leurs travaux.
Sciences et Avenir : La vocation encyclopédique de Wikipédia se prête-t-elle à des sujets de crise traités à chaud ?
Caroline Rizza : Traiter d’un événement en cours est un peu anormal pour une encyclopédie, et cela fait d’ailleurs partie des débats entre contributeurs, mais le mode de fonctionnement de Wikipédia et de sa communauté lui permet de le faire : des mécanismes sont mis en place pour garantir la véracité des informations agrégées, parfois en temps réel, tels que les bandeaux, le travail sur les sources, les discussions sur une page dédiée. Wikipédia est reconnue pour la rigueur de ses contributeurs mais il n’y a pas de spécialisation relative aux crises. 
Votre projet concernait d’abord des événements de sécurité civile (attentats de 2015 à Paris, ouragan Irma de 2017). La pandémie de Covid-19 obéit-elle aux mêmes dynamiques ?
Caroline Rizza : Qu’elle soit anticipée (une crue, un ouragan) ou soudaine (attentat), le temps de la crise est habituellement rapide : il génère un pic avec un “retour à la normale” dans les heures ou les jours qui suivent. Quelques minutes après l’événement, un article est créé. Il attire de nombreux contributeurs et connaît de nombreuses modifications en très peu de temps. La crise sanitaire actuelle a provoqué un pic de contributions mais qui stagnent ensuite en plateau, sans prévision possible d'un retour à la normale. Mais sa cinétique lente se prête davantage aux manières de faire déjà en vigueur sur Wikipédia pour des sujets communs. 
Comment avez-vous travaillé ?
Sandrine Bubendorff : Le gros avantage de Wikipédia réside dans ce que toutes les données sont accessibles, sans inscription. Qu’il s’agissent des fils de discussion, des historiques de création d’articles, de la dynamique des archives. Après, nous avons repéré dans tout cela les événements qui nous intéressaient. Nous avons observé les pics de contribution, qui contribuait, nous avons analysé la manière dont se construisent les pages. Nous avons aussi observé de près les pages “discussion” ainsi que la rubrique “Le bistro” de Wikipédia, qui est un peu la place publique de la plate-forme.
La matière scientifique et les incertitudes inhérentes au sujet Covid-19 ont elles mené à des pratiques nouvelles ?
Caroline Rizza : Pour la première fois, la communauté francophone de Wikipédia a créé une page concernant la désinformation lors d’une crise. Et sur les pages relatives à la maladie et à la pandémie, un nouveau bandeau signale qu’elles ne donnent pas de conseils médicaux. Wikipédia a aussi pour règle de ne pas utiliser comme source les articles de recherche en “pré-print” [prépublication] envoyés aux journalistes mais seulement les articles revus.
Sandrine Bubendorff : Après, on retrouve des discussions classiques entre les contributeurs : comment on découpe la page, qu’est-ce qui peut faire l’objet d’une section, quelles pages secondaires créer, qu’est-ce qui relève de l’actualité, du savoir, de l’anecdote, etc. ? Pour les attentats du 13 novembre 2015, par exemple, un débat avait porté sur le fait de dédier une page plutôt qu'une section d’une page au sujet “Itinéraire des terroristes”. Pour l’ouragan Irma, comme il était annoncé depuis un moment, la page existait avant qu’il ne frappe les Antilles. Certains contributeurs avaient créé une section, vide mais prête à être complétée, sur les dégâts matériels ! Il a été décidé lors des discussions qu’il valait mieux attendre un peu…
On est encore loin de tout savoir sur le Covid-19. Quelles sont les aspects du sujet qui ont le plus prêté à discussion ?
Sandrine Bubendorff : Les contributeurs ont notamment débattu de la pertinence d'une page dédiée à la crise pour chaque pays plutôt que de tout centraliser sur une page. Les pages secondaires préexistent parfois à la crise. Celle du professeur Didier Raoult existait déjà mais des discussions ont porté sur le fait savoir comment relater sa notoriété nouvelle. Il a fallu réorganiser la page. Rien n’est statique. Jusqu'en 2020, il y a eu 361 modifications sur la page de Didier Raoult; depuis le début de cette année, il y en a eu plus de 1100. Le personnage est devenu central dans cette crise sanitaire et cet intérêt se retrouve sur sa page.
Caroline Rizza : Tout prête à discussion, à commencer par le titre de la page, puis tous les événements qui suivent. Pour les attentats du 13 novembre 2015, le premier titre était “Fusillade en Seine-Saint-Denis”, avant que l’on sache pour les attentats dans Paris. Chaque terme est pesé.
Le thème de la pandémie de Covid-19 a-t-il généré ce que l’on appelle des guerres d’édition, des successions d’éditions/suppressions entre contributeurs qui ne sont pas d’accord ?
Sandrine Bubendorff : Il y a eu une polémique concernant les sources à utiliser pour le nombre de cas de maladie et de décès. Chaque pays met à jour et communique quotidiennement ses données tandis que l’Organisation mondiale de la santé le fait 24 à 48 heures plus tard, le temps de les agréger. Le consensus trouvé pour l’instant est d’utiliser les chiffres de l’OMS. Il y a eu aussi une guerre d’édition sur la manière de présenter ces chiffres. Au final, il le sont dans une “side box” de la page dédiée à la pandémie.
Caroline Rizza : Habituellement, une crise à tendance à faire intervenir de nouveaux contributeurs. Beaucoup de personnes participent. Les plus avertis attendent quelques jours pour procéder à une modération après coup et le bandeau avertissant que la page concerne un événement en cours est affiché.
La particularité de la pandémie de Covid-19 est d’être une crise qui dure. L’article est en réédition constante. Il est difficile de décider quand il y a consensus. Dans certains cas, on n’y arrive pas. La page concernant le suaire de Turin donne la place aux données scientifiques comme aux interprétations religieuses, parce que personne n’est tombé d’accord sur ce qu’il fallait privilégier et que les usages sur Wikipédia veulent que toutes les "vérités" soient présentées.
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