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Publié Le 25.01.2022 • Édité Le 27.01.2022
Marc Hengen, l’administrateur délégué de l’Aca. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/Archives)
La multiplication des catastrophes naturelles met les réassureurs sous pression. Des réassureurs qui jouent un rôle-clé dans la prise en charge de ces catastrophes au Luxembourg. L’actuel modèle touche-t-il ses limites? Marc Hengen ne le croit pas.
Sur le terrain, les dégâts des inondations de juillet sont en train d’être réglés l’un après l’autre. Marc Hengen , administrateur délégué de l’Aca, estime que 95% à 97% des dossiers sont clôturés. Ce reliquat d’environ 3% est imputable soit à une absence d’accord entre l’assuré et sa compagnie d’assurances, soit à des retards dus à un manque de main-d’œuvre du côté des artisans et au manque de matériel nécessaire que connaissent les secteurs de la construction et de l’automobile.
Bref, «cette catastrophe est complètement maîtrisée par nos membres». Pour un coût estimé désormais à 135 millions d’euros.
Une somme qui interroge si on la met en perspective avec un autre chiffre: les 800 millions de primes encaissées en 2020 pour toutes les branches d’assurance non-vie. «Clairement, on peut dire que le coût de cette inondation – et rien que celle-là, car il y en a eu d’autres moins spectaculaires – dépasse largement les primes récoltées pour cette garantie-là sur cette année-là. Ce n’était pas le cas les années précédentes.» 
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La question s’impose: est-ce que les compagnies luxembourgeoises ont les reins assez solides pour faire face à de tels incidents dont la fréquence augmente? «Oui, et je le dis sans réserve ni hésitation. Pour plusieurs raisons: d’abord, les sociétés luxembourgeoises respectent toutes les exigences de solvabilité et les dépassent de loin. Je pense que celles concernées par ces sinistres ont toutes des capitalisations supérieures à au moins deux fois les exigences minimales requises par le Commissariat aux assurances. La deuxième raison, c’est que, dans la gestion des risques de toute compagnie d’assurances, il y a le recours à la réassurance. Sans connaître dans le détail les conditions que chaque assureur a négociées avec son réassureur, il y a un amortissement du choc par le recours à la réassurance.»
Un amortissement confirmé par deux des acteurs majeurs de l’assurance au Luxembourg: Foyer et Lalux – contactés, Axa et Bâloise n’ont pas souhaité répondre à nos questions.
Du côté de Foyer, selon Franck Marchand, directeur des opérations, la facture des inondations devrait être de 60 millions d’euros. Et du côté de Lalux, le directeur général, Christian Strasser, fait état d’une facture de l’ordre de 40 millions d’euros.
«C’est une somme considérable», mais cela ne compromet pas la solidité financière de Foyer dont «les ratios de solvabilité sont l’équivalent d’un triple A pour les entreprises», explique Franck Marchand. Même son de cloche pour Christian Strasser qui insiste sur le fait que «de tels montants ne sont heureusement pas supportés seuls par la compagnie. De façon générale, la réassurance est un moyen pour l’assureur de se prémunir et d’anticiper les risques, et donc de faire face à des incidents d’une telle ampleur.»
La réassurance, Franck Marchand la cite également: «On mutualise quasiment au niveau mondial l’événement qui s’est passé au Luxembourg.» Mais pour lui, la solution est en train de montrer ses limites.
C’est moins la capacité de faire face du secteur de la réassurance qui l’inquiète – «lorsque les réassureurs mondiaux n’ont pas assez de capacité, ils font appel aux marchés financiers. Et là, les besoins du Luxembourg et même les besoins mondiaux sont une goutte d’eau par rapport à la masse de capitaux existants» –, mais sa capacité à correctement estimer le coût des catastrophes naturelles. «Et pour avoir un bon prix, il faut pouvoir/savoir correctement estimer l’ampleur potentielle des dégâts.» Et de détailler: «Si les réassureurs, concernant les très grandes catastrophes naturelles, ont réussi à créer des modèles qui approchent assez bien la réalité, pour les catastrophes plus récurrentes – des catastrophes médianes de plus en plus fréquentes comme les inondations de juillet dernier ou la tornade d’il y a deux ans –, les modèles n’approchent pas suffisamment bien la réalité à cause, justement, du réchauffement climatique.» Ce qui a conduit à une forte augmentation des primes de réassurance pour Franck Marchand.
Hausse aggravée par la multiplication de ces événements climatiques à l’échelle de la planète – «on parle de mutualisation géographique» – et par la multiplication d’autres sinistres comme la cybercriminalité, l’annulation d’événements ou encore la multiplication des procès faits aux entreprises – «on parle de mutualisation entre branches».
Le directeur des opérations de Foyer s’attend donc à une augmentation des tarifs pour les assurés «parce que les primes qu’on collecte sont insuffisantes pour faire face à cette multiplication d’événements». Tout comme le directeur général de Lalux, pour qui «une augmentation tarifaire est prévue de manière globale sur le marché luxembourgeois suite à l’augmentation des cas de catastrophes naturelles qui a un impact, non seulement sur les montants des sinistres supportés par les compagnies, mais également sur les primes de réassurance».
Franck Marchand,&nbsp directeur des opérations,&nbsp Foyer
Cette hausse des tarifs, Marc Hengen la voit poindre. «Les conditions de marché vont évoluer. Pour les compagnies luxembourgeoises, comme pour toutes les autres, la réassurance est aussi un coût qu’il faut, à un certain moment, répercuter sur les primes facturées aux clients. C’est la loi du marché.» L’administrateur délégué de l’Aca ne voit cependant pas une hausse à court terme, l’événement étant encore récent. Et surtout une hausse limitée. «Les prix pour garantir certains risques peuvent augmenter jusqu’au moment où le client va dire stop.» C’est la loi du marché.
Mais la loi du marché peut fonctionner dans l’autre sens, à savoir que les compagnies renoncent à garantir des risques qui deviendraient hors de contrôle. Ce qui n’est pas un cas d’école. «Dans le jargon des assureurs, on parle d’événement centenaire pour décrire des épisodes comme les inondations de juillet. Tout le pays était concerné et touché au même moment. Jean-Paul Lickes, le directeur de l’Administration de la gestion de l’eau a dit dans les médias une chose importante: il faut désormais se préparer pour une récurrence à 30 ans.» Ce qui, pour Marc Hengen, est la tendance vers laquelle on se dirige et qui va obliger les assureurs à revoir leurs produits et leur tarification.
Mutualiser ces risques climatiques à l’échelle du Luxembourg pourrait-il être la solution pour éviter une hausse des tarifs – hausse que personne ne souhaite chiffrer – et améliorer la couverture des résidents?
L’Aca n’est pas demandeuse, précise Marc Hengen. Mais l’hypothèse a été évoquée. «C’est avant tout une question politique qui renvoie aux problématiques de la manière d’alimenter un tel fonds.»
Une fausse bonne idée pour Franck Marchand. «Si les réassureurs, qui sont des acteurs colossaux chargés de mutualiser les risques au niveau mondial dans différentes branches, ont des difficultés pour déterminer les montants financiers requis, comment le Luxembourg seul pourrait le faire sur un territoire aussi petit? Il faudrait que le gouvernement mette dans un fonds de réserve une part significative du budget de l’État. À titre personnel, je ne pense pas que ce soit pertinent alors qu’il y a un marché privé qui régule cela d’une manière beaucoup plus efficace grâce aux diversifications géographiques et interbranches dans un marché très concurrentiel.»
Franck Marchand penche plutôt pour une action plus volontariste afin que les assurés souscrivent ce type de protection encore facultative. En augmentant les garanties par exemple. Comme vient de le faire Lalux, où les limites d’indemnisation qui variaient en fonction des zones inondables ont été complètement levées. «Nos clients assurés contre les inondations bénéficient désormais de couvertures illimitées», indique Christian Strasser.
Un volontarisme qui pourrait aller jusqu’à une obligation d’assurance, estime Franck Marchand, «car certains s’imaginent, à tort, non exposés aux risques climatiques. Deux tiers des sinistrés des inondations du 14 juillet habitaient en effet dans des zones qui n’étaient pas classées à risque. Je pense aussi aux habitants d’immeubles qui se pensent protégés parce qu’ils habitent au 3e étage, mais qui ont vu leurs caves inondées, l’électricité coupée et leurs habitations rendues inhabitables. Mais pas avec des tarifs de prime fixés par l’État. Il faut laisser le marché jouer son rôle et les primes s’ajusteront en fonction de l’exposition au risque de chacun.»
Une telle obligation n’est pas à l’ordre du jour pour l’Aca. «Je pense que ces catastrophes montrent que l’assurance est quelque chose d’utile. Pour la tornade de 2019, presque 95% des dommages étaient couverts par une assurance privée. Donc le système fonctionne.»
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