Pour l'assurance-vie, la réforme du prélèvement fiscal unique (PFU) de 30% promet davantage un choc qu'une simplification.
François Maumont/Illustrissimo
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Pour l’assurance-vie, la réforme du prélèvement fiscal unique (PFU) de 30% promet davantage un choc qu’une simplification. Car le projet en gestation ne peut faire table rase des engagements passés du fisc envers les différentes générations de souscripteurs, ni s’affranchir de l’articulation complexe entre les différentes taxes qu’il doit remplacer.  
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Pour mémoire, l’assurance-vie est un placement confié à une compagnie d’assurances auprès de laquelle le souscripteur peut récupérer son argent tant qu’il est vivant. A son décès, l’assureur transmet le capital restant aux bénéficiaires désignés. Cette spécificité est à l’origine de l’exonération de droits de succession qui a fait le succès de ce placement auprès de plus de 15 millions de souscripteurs, qui ont à ce jour déposé près de 1700 milliards d’euros d’épargne dans ces contrats. 
Prudent avec ses électeurs, le candidat Macron s’était engagé à ne pas trop bousculer cet édifice: “Nous maintiendrons les grands principes de l’assurance-vie, produit aujourd’hui détenu par 1 ménage sur 3”, annonçait-il en insistant sur trois points: “Primo, les avantages liés aux successions seront maintenus, y compris les abattements de 30500€ ou 152500€ selon l’âge de versement des primes. 
Deusio, les revenus (accumulés ou futurs) des versements déjà effectués ne seront pas concernés par la réforme: le prélèvement forfaitaire libératoire de 7,5% au bout de huit ans et l’abattement de 4600€ (9200€ pour les couples) seront maintenus pour ces revenus. Tertio, les revenus perçus sur les sommes versées après la réforme et qui contribuent au développement de l’économie ne seront pas non plus concernés, sauf pour les encours supérieurs à 150000 euros.” 
La fiscalité des revenus de l’assurance-vie est déjà d’une complexité byzantine, avec des taxes différentes selon les dates d’ouverture des contrats (avant 1983, depuis le 26 septembre 1997, et entre les deux), les durées et même les types d’investissement. Les intérêts des fonds en euros, qui représentent plus de 80% de l’épargne en assurance-vie, subissent chaque année les prélèvements sociaux en vigueur (15,5% depuis juillet 2012), tandis que ceux des “unités de compte”, jargon désignant tous les autres placements (à formule, fonds boursiers ou immobiliers, etc.), ne sont taxés qu’au moment de leur retrait. 
En résumé, en cas de retrait après huit ans, les gains de l’assurance-vie subissent dans la plupart des cas les seuls prélèvements sociaux qui n’ont pas été déjà pris sur le fonds en euros, plus un impôt forfaitaire de 7,5% si les gains retirés dans l’année dépassent 4600 euros pour un célibataire et 9200 euros pour un couple. 
Ces seuils visent uniquement les gains, et non le montant total du retrait. Prenons un exemple: un souscripteur a investi 100000 euros en assurance-vie depuis 2007 et son contrat atteint 120000 euros en 2017, avec les intérêts. S’il effectue un retrait de 20000 euros, les gains retirés ne représentent qu’un sixième de ce montant. Aux yeux du fisc, ce retrait se répartit entre 16667 euros de récupération du capital initial et 3333 euros de gains, qui sont inférieurs aux seuils d’imposition et donc exonérés de l’impôt forfaitaire de 7,5%. Selon la promesse gouvernementale, ce mécanisme doit être maintenu. 
Quels droits de succession devrez-vous régler? 
* Age de l’assuré lors du paiement de la prime. ** 31,25% pour la fraction de la part taxable de chaque bénéficiaire excédant 700000 euros après abattement. Il y a exonération du prélèvement de 20% ou 31,25% et des droits de succession lorsque le bénéficiaire est: le conjoint, le partenaire lié au défunt par un pacte civil de solidarité (PACS), ou le frère ou la soeur (sous conditions). *** Abattement supplémentaire de 20% sur le capital pour les contrats “vie génération”.
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Alors qu’est-ce qui change avec l’instauration du prélèvement unique de 30% sur les gains? Tout le reste, ou presque. D’abord, la fiscalité des retraits avant huit ans. Pour dissuader les sorties rapides de l’assurance (en cas de retraits avant cette durée), les gains sont aujourd’hui soumis à l’impôt sur le revenu en plus des prélèvements sociaux, ou à un prélèvement forfaitaire de 35% en cas de retrait avant quatre ans, et de 15% sur les retraits entre quatre et huit ans. 
Avec le PFU de 30%, il n’y aurait plus de pénalité en cas de retrait avant quatre ou huit ans, ni d’incitation à l’épargne longue, mais a priori seulement pour les nouveaux contrats et versements. “L’assurance-vie est un placement à long terme; si l’imposition devient la même quelle que soit la durée et que les épargnants sont incités à en changer du jour au lendemain par des conseillers convoitant leur clientèle, les assureurs n’auront plus la capacité d’investir à long terme”, déplore Eric Le Baron, directeur général de Swiss Life Assurance et patrimoine. 
Au-delà des grands principes dévoilés ces dernières semaines et des précisions apportées par la première mouture du projet de loi de finances présentée le 27 septembre, les modalités pratiques de mise en place du PFU de 30% sur les gains de l’assurance-vie restent floues. Et leur mise en oeuvre nécessitera des précisions en concertation avec les professionnels concernés. Une des difficultés majeures de cette réforme, dans le cas de l’assurance-vie, est d’identifier les contribuables ciblés: ceux qui auront placé plus de 150000 euros d’épargne, ou plus de 300000 euros pour un couple, sans compter les intérêts et gains engendrés par ces versements. 
Aucun assureur ne dispose aujourd’hui de cette information, car aucun ne sait si ses clients ont d’autres contrats ailleurs. Dès lors, comment appliquer le prélèvement de 30% sur les retraits effectués? Certes, depuis janvier 2016, les assureurs sont tenus d’alimenter le nouveau fichier Ficovie, qui recense les contrats de capitalisation ou les placements de même nature, ce qui permet théoriquement d’identifier les épargnants ayant placé plus de 150000 euros.  
Mais ouvrir l’exploitation de ce fichier centralisé à tous les assureurs poserait des problèmes de confidentialité et de concurrence. Enfin, ils déclarent aussi les revenus versés aux épargnants sur des imprimés fiscaux uniques (IFU), adressés aux contribuables et centralisés par le fisc, mais ceux-ci n’indiquent pas encore le montant de leur contrat d’assurance-vie. 
Une autre difficulté de la réforme concerne l’arbitrage entre l’application des prélèvements sociaux, actuellement pris chaque année sur l’assurance-vie en euros, et l’application du taux unique de 30% pour les contribuables concernés. Le choix final consistera-t-il à appliquer le PFU chaque année sur les intérêts des fonds en euros, ou bien uniquement en cas de retrait sur l’ensemble des gains retirés?  
Dans les deux cas, cela promet d’être un casse-tête, pour le législateur comme pour les assureurs. “En attendant que tout se mette en place, les épargnants ont intérêt à anticiper au maximum les versements sur leur contrat d’assurance-vie, pour optimiser leurs chances d’échapper aux nouvelles règles”, explique Nicolas Braun, directeur général de Constance Associés. 
Si le gouvernement peine à trouver les bons réglages fiscaux, le fisc lui-même détourne parfois les règles pour collecter davantage de taxes au détriment des contribuables, comme dans l’affaire des droits de succession sur les versements après 70 ans. En principe, si l’on place 30500 euros sur une assurance-vie après 70 ans, ce capital et l’ensemble des gains qu’il a engendrés sont exonérés de droits de succession en vertu de l’article 757 B du Code général des impôts (CGI).  
En effet, seuls les versements dépassant le seuil de 30500 euros sont soumis aux droits de succession. Mais, en pratique, “tel qu’il est interprété par l’administration, en cas de rachat partiel d’un contrat comprenant des primes versées après 70 ans, la fraction des primes rachetées n’est pas déduite du montant des primes versées taxables aux droits de succession”, explique Me Marc Bornhauser, président de l’Institut des avocats-conseils fiscaux (IACF).  
En clair, le fisc réclame parfois aux bénéficiaires des droits de succession sur des capitaux qu’ils n’ont jamais reçus, car ils avaient été retirés du contrat par le souscripteur avant sa mort, sans que le fisc en tienne compte. 
Indigné par cet abus fiscal, un courtier d’assurance-vie, François Nocaudie, a porté l’affaire en justice pour contester l’interprétation de Bercy au regard du principe d’égalité face à l’impôt, garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. François Nocaudie est réputé pour sa perspicacité et sa ténacité.  
Après avoir découvert et révélé les détournements des fondateurs de l’assurance-vie Afer, il avait fait rectifier il y a quelques années une erreur d’interprétation dans le calcul des prélèvements sociaux défavorable aux 700000 souscripteurs de ce contrat par ailleurs performant (2,65% de rendement en 2016).  
Après l’avis favorable de la Cour de cassation sur sa question prioritaire de constitutionnalité (QPC), on attend le verdict du Conseil constitutionnel, qui l’examinait le 26 septembre. “Nous espérons que le Conseil sanctionnera non le texte lui-même, mais l’interprétation qu’en fait l’administration”, ajoute Me Bornhauser. La fiscalité de l’assurance-vie est décidément si complexe que même le fisc la comprend de travers! 
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