Fraude Association de lutte contre la fraude à l’assurance (Alfa)
La fraude démontrée a atteint 409 M€ en 2020, pesant massivement sur la charge sinistres des assureurs – et donc sur les primes. La crise actuelle ne devrait pas voir ralentir les tentations. Des outils de lutte anti-fraude facilitent le travail des gestionnaires, mais des marges de progrès demeurent.
Les assureurs n’ont pas attendu les nouvelles technologies pour chercher à détecter les tentatives de fraude des assurés, dont la bonne foi est supposée par le code des assurances. C’est à partir de 2015 que l’intuition et le flair des gestionnaires sinistres ont commencé à être complétés par des outils digitaux. « De simples requêtes et signalements manuels, nous sommes passés à des algorithmes prédictifs, permettant de croiser jusqu’à 100 données par sinistre », explique Stéphane Bezard, responsable indemnisations clients de Thélem Assurances, qui s’est doté d’une cellule fraude en 2017. Une avancée technologique en provenance des États-Unis et qui s’est diffusée progressivement chez les assureurs français, en commençant par l’assurance auto, puis la MRH, deux segments sur lesquels les données étaient les plus nombreuses et les plus qualifiées. « La data, c’est la base. Il faut des données suffisantes pour pouvoir commencer à utiliser les outils et à nourrir les algorithmes », confirme Thierry Cassagnères, directeur sinistres IARD standards & solutions indemnisation chez Generali France. Aujourd’hui, la lutte anti-fraude dans l’assurance concerne tous les segments, particuliers comme professionnels. Mais les outils ne sont pas présents de façon homogène à chaque phase de la vie du contrat.
Chiffres
- 30 % : la part additionnelle de détection grâce aux outils numériques en 2021
Source : Coalition Against Insurance Fraud - 3 000 : le nombre moyen d’enquêtes d’assurance menées par an
Source : ALFA
Fraude aux sinistres : vers la maturité
La grande majorité des solutions technologiques traite la détection de fraude lors du sinistre. « Les outils vont permettre de faire remonter des alertes en croisant les données internes sur le contrat et l’assuré, avec des données externes (constructeur, garagistes, experts, réseaux sociaux…) », explique Patrick Soulignac, principal solution consultant chez Guidewire Software. Une incapacité de travail n’étant par exemple pas cohérente avec des photos de vacances postées sur Facebook… « Le déploiement de nos solutions améliore le dispositif global de lutte contre la fraude », souligne Benoît Legros, VP customer success de Shift Technology. « Mais attention, ce n’est pas l’alerte qui prouve la fraude ! », rappelle Pierre-Louis Blanc, président de l’Alfa (Agence de lutte contre la fraude à l’assurance) et directeur pilotage actuariat & fraude IARD chez Axa France.
Les outils permettent juste de faire remonter des suspicions de fraude en se basant sur des incohérences, des informations manquantes et des scénarios récurrents qu’il faut d’abord tester, puis alimenter et mettre à jour régulièrement, dans une démarche d’amélioration continue. Charge ensuite au gestionnaire d’effectuer un tri parmi toutes les alertes afin d’évacuer le plus vite possible les « faux positifs », en les remettant dans le flux de sinistres classiques, afin de se concentrer sur les alertes les plus pertinentes. « Cette étape de sélection est délicate. Il faut prendre en compte plusieurs enjeux : financiers, commerciaux, image de marque, lutte contre le blanchiment… », explique Pierre-Louis Blanc. D’où l’initiative de Generali : la compagnie a créé son outil d’aide à la décision baptisé Spider, qui aide le gestionnaire à recouper les données du sinistre, son écosystème et les tiers impliqués… « Même dans le cas où un gestionnaire a l’intime conviction qu’il y a une fraude manifeste, si notre position technique est trop fragile, il doit accepter de laisser tomber et déclencher l’indemnisation », explique Stéphane Bezard.
En la matière, chaque assureur a sa propre stratégie. Chez Axa, sur 100 dossiers sinistres, environ cinq font l’objet d’une alerte dans ses services et en moyenne un seul donne lieu à une investigation. L’efficacité est néanmoins au rendez-vous. « Le jour où nous sommes passés des requêtes aux algorithmes, le taux de pertinence des alertes a été multiplié par dix. Et la productivité a été divisée par cinq, ce qui est bon signe, car ça prouve que les suspicions sont fondées et qu’on doit y passer du temps », explique Stéphane Bezard. « Les équipes anti-fraudes des assureurs mesurent la pertinence des alertes générées par la solution et confirment si la suspicion est avérée ou non », confirme Benoît Legros.
Où commence la fraude ?
Fausse identité, kilométrage du véhicule maquillé, facture d’artisan gonflée…, les exemples de fraude n’ont comme limite que l’imagination des fraudeurs. Si le code des assurances ne mentionne pas le terme de fraude, l’Alfa (Agence de lutte contre la fraude à l’assurance) la définit comme « un acte intentionnel réalisé afin d’obtenir indûment un profit du contrat d’assurance ».
Fausse identité, kilométrage du véhicule maquillé, facture d’artisan gonflée…, les exemples de fraude n’ont comme limite que l’imagination des fraudeurs. Si le code des assurances ne mentionne pas le terme de fraude, l’Alfa (Agence de lutte contre la fraude à l’assurance) la définit comme « un acte intentionnel réalisé afin d’obtenir indûment un profit du contrat d’assurance ».
L’investigation, un vrai métier
Arrive ensuite l’étape de l’investigation, un métier à part entière qui nécessite des moyens importants. « Il y a encore peu d’outils sur le marché pour l’investigation, la consolidation des dossiers et l’aide à la décision », confirme Maxence Bizien, directeur général de l’Alfa, qui propose des formations à la méthodologie d’investigation, un prérequis essentiel avant les outils. Le simple fait de demander des documents complémentaires, un deuxième devis ou d’appeler leur artisan peut suffire à faire reculer les fraudeurs opportunistes. Mais lorsqu’il s’agit de trouver des preuves concrètes, faire des recherches sur Internet, recouper les données demandent du temps.
« Notre solution anti-fraude basée sur l’IA aide à la décision en expliquant pourquoi l’alerte est générée et en donnant des éléments concrets de suspicion », précise Benoît Legros. Certains éditeurs tentent de faire valoir leur valeur ajoutée sur la fraude documentaire. Mais Stéphane Bezard reste prudent : « Les factures sont des documents non structurés, très différents selon les entreprises. Il est donc difficile d’obtenir des résultats satisfaisants. En outre, il est devenu très simple techniquement de modifier un PDF ou de retoucher une photo. »
Certaines fraudes passent encore trop souvent par les mailles de la détection automatique et sont donc encore largement indemnisées, même si les techniques s’améliorent peu à peu. « L’avenir passe par une meilleure lecture automatique des documents et des images. Un meilleur taux de transformation en la matière permettra de fiabiliser ce que l’on détecte à l’œil nu », espère Thierry Cassagnères.
Anne-Claire Pichereau, avocate associée du cabinet Neraudau
« L’assureur reste responsable du traitement des données »
- Concilier lutte anti-fraude et RGPD ne pose-t-il aucun souci ?
L’assureur reste toujours responsable du traitement des données qu’il a collectées auprès des assurés. Les éditeurs d’outils de lutte contre la fraude qui les utilisent, avec l’accord de l’assureur, ne sont donc que des sous-traitants.
En outre, depuis 2018, le RGPD exige que les assureurs informent les assurés que leurs données sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de la lutte contre la fraude et le blanchiment. Le traitement des données à caractère personnel présente donc un « intérêt légitime », ce qui constitue sa base légale. - Quel est le cadre juridique pour la charge de la preuve ?
En cas de fraude, les assureurs et leurs juristes utilisent les sanctions prévues au contrat, notamment afin de prononcer la nullité du contrat (en phase de souscription) ou la déchéance de garantie (en phase d’indemnisation). Les pièces justificatives ne sont en général pas communiquées dans un premier temps à l’assuré. Pour autant, c’est à l’assureur qu’incombe la charge de la preuve. C’est à lui de démontrer la mauvaise foi de l’assuré et l’existence d’une fraude manifeste. Le dossier constitué par les gestionnaires doit donc être solide, au cas où l’assuré déclencherait un contentieux.
Améliorer la détection dès la souscription
Si la suspicion est là et que l’enjeu financier est de taille, il est toujours possible de missionner un enquêteur d’assurance certifié par l’Afnor dans le cadre du processus mis en œuvre avec l’Alfa ou d’organiser une filature. Mais tout cela a un coût. En France, moins de 3 000 enquêtes d’assurance sont ainsi menées chaque année sur 12,7 millions de sinistres IARD en 2021. Pour décider de l’opportunité de pousser les investigations, les assureurs ont recours à leurs juristes ou à des avocats.
Plus matures sur l’indemnisation, les efforts des assureurs se portent désormais vers l’amont. « La lutte contre la fraude ne doit pas négliger la détection dès la souscription. Nous avons encore des progrès à faire, en tirant les leçons des sinistres récurrents et des fraudes déjà prouvées », confirme Stéphane Bezard. « Nous avons par exemple constaté que les RIB provenant de néo-banques aboutissaient plus souvent à des fraudes », confie Pierre-Louis Blanc. Les outils de lecture intelligente et de recherche d’altérations ou d’incohérences peuvent les aider : pièce d’identité falsifiée, effacement d’un sinistre responsable, feuille de soins modifiée…
Trois phases aux outils plus ou moins matures
- L’indemnisation : les outils sont matures et nombreux (Shift Technology, Friss, Kube, Polonious…). Ils font remonter des alertes de plus en plus pertinentes aux gestionnaires grâce au machine learning.
- La souscription : les outils de détection de la fraude documentaire (iT soft, omni:us, Kofax…) qui vérifient l’intégrité numérique d’un document ou d’une photo commencent à donner des résultats encourageants.
- L’investigation : trop peu d’outils permettent de consolider les dossiers pour transformer un doute en preuve. les enquêteurs privés ne sont missionnés que sur les dossiers à fort enjeu.
Une nécessaire supervision globale
Mais le perfectionnement et la multiplicité des outils entraînent un autre problème. Qu’ils soient proposés par des grands groupes ou des assurtech, les outils sont souvent spécialisés sur un aspect de la fraude (détection / investigation) et sur une étape du process (souscription / indemnisation). Certains essayent bien d’élargir leur spectre, mais les tentatives ne sont pas encore concluantes. « Quand les outils sont arrivés, on a cru à la solution magique qui ferait tout, résume Maxence Bizien. Mais la plupart ne traitent que la détection, qui n’est qu’une partie du problème. Et toute intelligente qu’elle soit, une IA ne peut faire qu’une chose à la fois. À chaque usage son outil. »
Cette multiplicité peut nuire à la productivité des gestionnaires, qu’il est nécessaire de former. « La plupart des solutions du marché ne sont pas toujours bien intégrées dans les systèmes d’information (SI), ce qui peut entraîner une perte de temps et de performance », confirme Maxence Bizien. Axa se limite ainsi à un ou deux outils, en plus du SI principal. Thélem Assurances a misé pour le test & learn afin d’éprouver l’efficacité de l’outil et sa bonne prise en main par les gestionnaires fraudes, qui sont souvent d’anciens gestionnaires sinistres. « L’idéal serait de disposer d’un outil de supervision globale, tel que cela existe dans le cyber (Siem), la sécurité ou le nucléaire, qui permettrait d’agréger l’ensemble des outils de détection et d’investigation pour qu’ils se parlent entre eux, et ainsi pouvoir mieux décider », estime Maxence Bizien. En attendant de prochaines avancées technologiques, Stéphane Bezard se veut pragmatique : « Les alertes ne sont jamais aussi pertinentes que lorsqu’elles sont manuelles, c’est-à-dire lorsqu’elles proviennent d’un gestionnaire, d’un agent ou d’un expert. »
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