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6,5% en France, 9% aux États-Unis et même plus de 20% dans certains pays de la zone euro… L'inflation, apparue assez soudainement, atteint des niveaux plus vus depuis des décennies. Que faut-il penser de ce retour de la dépréciation monétaire ?

Par  La Rédaction

Temps de lecture  14 minutes
Pendant plus de 30 ans, l’inflation, c’est-à-dire la hausse généralisée et durable des prix des biens et services, est restée basse. En France, elle oscillait entre 0 et 3%, voire 4%. Parfois, comme en 2015-2016 et lors de la récente pandémie, elle a même été nulle, voire légèrement négative. Depuis l’été 2021, l’inflation a brusquement augmenté. Entre juillet 2021 et juillet 2022, elle est passée de 1,5% à 6,8%, avant de légèrement ralentir en août (6,5%). La France reste en dessous du niveau de la zone euro (9,1% en août 2022). Dans certains petits pays européens, l’inflation atteint 10, voire 20%.

Les banques centrales, attachées à la stabilité monétaire, ont longtemps considéré que le phénomène ne serait que passager. Elles ont dû adapter leur stratégie car l’inflation semble s’installer durablement dans la zone euro et hors zone euro (plus de 10% au Royaume-Uni, 8,5% aux États-Unis en juillet 2022). Pourquoi cette flambée soudaine ? Faut-il s’en inquiéter ? Comment lutter contre cette inflation ? Est-ce le début d’un nouveau cycle économique ?
Les pays occidentaux sortent d’une très longue période d’inflation très basse. Il faut en effet revenir aux années 1980 pour retrouver les niveaux actuels.

Le phénomène de l’inflation est très complexe. Il n’obéit pas mécaniquement à la théorie quantitative classique selon laquelle l’inflation serait d’abord un phénomène monétaire (une augmentation de la quantité de monnaie en circulation implique tôt au tard la hausse de l’inflation). Lors de la longue phase de taux directeurs très bas, les banques centrales ont largement contribué à la création monétaire sans que cette forte hausse de la masse monétaire n’ait fait bouger l’inflation (hors valeurs mobilières et immobilières).

La hausse soudaine de l’inflation a cependant de nombreuses raisons, à la fois conjoncturelles et structurelles. Les principales raisons conjoncturelles, donc plutôt transitoires, sont :
Les principaux facteurs structurels en faveur de l’inflation sont :
Si l’inflation a augmenté au niveau mondial, les différences entre pays sont considérables. Elles s’observent également au sein de la zone euro, où la hausse des prix varie du simple au triple. En août 2022, le taux d’inflation annuel de l’ensemble de la zone ressort à 9,1%, mais il est de 6,5% en France contre 8,8% en Allemagne et même plus de 20% dans les trois pays baltes.

La France est, pour l’instant, moins touchée par la flambée des prix, notamment grâce au nucléaire et au “bouclier tarifaire“. La France est moins dépendante des importations d’énergies fossiles, notamment de Russie, et dispose d’un important parc nucléaire. L’arrêt de certaines centrales peut cependant rendre la situation plus compliquée à l’avenir. Le bouclier tarifaire, mis en place par le gouvernement pour contenir la forte hausse du prix du gaz et du prix de l’électricité (il s’étendra jusqu’au 31 janvier 2023), permet de contenir la hausse des prix, mais pèse sur les finances publiques. Limité dans le temps, il ne pourra pas éternellement servir de protection contre la hausse des prix.

Par ailleurs, la façon dont la concurrence joue dans les différents secteurs varie d’un pays à un autre. Certains pays doivent faire face à des particularités (l’Allemagne avait temporairement réduit ses taux de TVA pendant la pandémie). Ensuite, la composition du panier de biens et services varie entre les pays. Consommer plus de carburants fossiles en contexte de hausse de son prix entraîne un taux d’inflation plus élevé. Enfin, le stade de développement des pays entre également en compte : les pays baltes sont toujours dans une phase de forte croissance qui s’accompagne d’une dynamique salariale élevée. Un taux d’inflation plus important en est la conséquence. Leur proximité géographique avec la zone de conflit accentue la pression sur les prix.
Si les salaires ne sont pas indexés sur la hausse des prix, l’inflation entraîne toujours une baisse du pouvoir d’achat qui pèse surtout en bas de l’échelle salariale. Plus la part des dépenses contraintes dans le budget des ménages est élevée, moins il y a de marge pour contrer la hausse des prix. L’inflation est donc un phénomène très peu social. Cet effet négatif est limité si l’inflation reste modérée et régulière : une faible hausse régulière du niveau général des prix est l’objectif principal des grandes banques centrales. La BCE fixe comme cible optimale une progression de l’inflation de l’ordre de 2% par an.
Une inflation limitée et régulière a certains avantages :
En revanche, les effets économiques néfastes dominent si l’inflation progresse plus rapidement. Avec une moyenne en zone euro de près de 9%, l’inflation est loin d’être modérée. Les effets négatifs sont donc à craindre :
Mécaniquement, l’inflation pénalise les créanciers et favorise les emprunteurs car le niveau réel de leur dette diminue (pour un prêt non indexé sur l’inflation, la somme rendue est de l’argent déprécié).
De même, les épargnants sont négativement touchés, car leur épargne perd de la valeur. Peuvent aussi être perdants les bénéficiaires de prestations même si celles-ci sont indexées sur l’inflation. Par exemple, pour les retraités et les bénéficiaires de prestations sociales (minima sociaux, etc.), l’indexation des pensions ou des prestations n’est ni instantanée, ni automatique, elle est décidée par le gouvernement avec un certain délai. Pour les retraites, la revalorisation, fixée à 4% à partir du 1er juillet 2022 (elle s’ajoute à la hausse de 1,1% de janvier 2022) n’est pas rétroactive. La perte de pouvoir d’achat des mois précédents n’est donc pas rattrapée.

À l’inverse, les salariés qui obtiennent des augmentations de salaires équivalentes à l’inflation préservent leur pouvoir d’achat. Pour ceux qui en profitent pour prendre un crédit à mensualités fixes non indexé sur l’inflation, le poids de leur remboursement par rapport au revenu diminue.

Pour simplifier, les perdants de l’inflation sont plutôt les personnes âgées qui dépendent de leur retraite et de leur épargne. Les plus jeunes actifs et ceux qui s’endettent peuvent en revanche être gagnants. L’inflation fonctionne donc comme une redistribution des plus âgés vers les plus jeunes. C’est exactement l’inverse de la désinflation des dernières décennies qui a plutôt favorisé les plus âgés.

On peut également dire que, sous certaines conditions, l’inflation est favorable aux finances publiques et aux caisses sociales :
Ces deux arguments sont à relativiser en fonction de la cause de l’inflation. Quand l’inflation est portée par la demande et par la croissance (comme après la crise sanitaire), les recettes fiscales augmentent et la dette se réduit. En revanche, quand l’inflation est provoquée par des produits importés (la situation actuelle avec la hausse du prix des matières premières et de l’énergie), l’emploi et la croissance en sont affectés négativement. Dans ce cas, l’inflation n’est pas bonne pour les finances publiques, car l’économie tout entière s’appauvrit.
Il n’est pas facile de lutter contre l’inflation. L’instrument principal est la politique monétaire : les banques centrales disposent d’outils pour rendre l’argent plus cher et pour réduire la masse de liquidités en circulation. Cependant, la politique monétaire agit toujours avec un certain retard, elle ne peut donc pas annuler des pics d’inflation ponctuels. Par ailleurs, pour faire baisser une inflation résultant d’une inadéquation entre masse monétaire et volume de biens et services, il est également possible de pratiquer une politique qui favorise l’offre. Son inconvénient est qu’elle nécessite beaucoup de temps avant d’avoir des résultats.
Afin de contenir, voire de faire baisser l’inflation, les principales banques centrales ont opéré un basculement de politique monétaire pour la rendre plus restrictive : baisse du volume d’achat d’actifs financiers et hausse des taux d’intérêt. Aux États-Unis, la Réserve fédérale (la Fed) s’est rapidement engagée dans cette voie. Dès le mois de mai 2022, elle a commencé à relever ses taux, d’abord par 25 points de base (une hausse des taux de 0,25), puis par 75 points de base. Les autorités monétaires américaines se montrent particulièrement fermes dans leur volonté de contenir l’inflation. La Banque centrale européenne (BCE) a réagi plus tardivement : une première hausse des taux le 27 juillet 2022, puis une nouvelle hausse décidée le 8 septembre 2022.
L’actuel tournant de politique monétaire est sans précédent, car elle concerne tous les grands blocs économiques du monde. Son succès n’est cependant pas certain. En théorie, le durcissement monétaire ralentit l’activité, l’investissement et la vitesse de circulation des liquidités et devrait ainsi faire baisser le niveau de dépréciation monétaire. Son impact sur la croissance économique et sur l’emploi est également à surveiller.
Cependant, si la phase d’inflation élevée perdure, les agents économiques risquent d’anticiper une inflation durablement élevée. Une course entre les salaires et les prix, ainsi que la hausse des prix de vente pour simplement anticiper des prix fournisseur plus élevés, pourraient en être la conséquence. Ces anticipations sont notamment influencées par la confiance envers les autorités monétaires de pouvoir garantir la stabilité des prix. Longtemps, l’hypothèse des autorités, y compris européennes, était celle d’une inflation simplement transitoire, une sorte d’inflation post-Covid. Mais face à la persistance de l’inflation, les banques centrales ont ajusté leur analyse. Ce retard d’appréciation peut nuire à leur capital confiance.
Quelles évolutions pour les mois prochains ?
L’inflation, comme d’autres grandeurs économiques, évolue en cycles plutôt longs. La longue phase de faible inflation ne pouvait pas durer éternellement. La mondialisation n’est plus aussi vigoureuse que précédemment. La dynamique du commerce mondial s’affaiblit et une fragmentation du commerce semble se dessiner. Cette évolution peut peser régionalement sur l’offre globale : une offre moins importante face à une demande stable fait pression sur les prix. Le rôle et les objectifs (stabilité monétaire, croissance, etc.) des autorités monétaires sont également sujets d’interrogation. Enfin, un éventuel retour de ce que les économistes appellent les “effets de second tour”, c’est-à-dire une spirale des prix et des salaires, n’est plus à exclure. Elle avait largement contribué à la forte inflation des années 1970 et 1980.
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